Septembre 2018, le gouvernement annonçait la mobilisation de huit milliards d’euros d’ici 2022, afin de lutter contre la précarité. Cette situation toucherait un Français sur cinq, selon un rapport de l’INSEE datant de 2018. Malgré ces annonces, le gouvernement a peiné à mettre en place des mesures concrètes. Ce constat était déjà criant lors du premier confinement : les personnes en situation de précarité semblent laissées pour compte par les préoccupations politiques, notamment en cas d’urgence nationale. Tandis que le gouvernement exhorte à « rester chez nous », une nouvelle fois, faut-il alors oublier ceux pour qui la notion de chez soi n’est qu’un lointain souvenir ?
Dans un contexte de crise sanitaire, les 9,3 millions de Français en situation de précarité sont les grands oubliés des mesures gouvernementales. Les personnes sans domicile fixe sont directement exposées aux risques sanitaires, sans accès à l’information ou à un service administratif réduit. Face à ces lacunes, les associations de bénévoles sont passés outre le confinement pour effectuer distributions alimentaires et maraudes, dès les premières semaines d’avril.
Les chiffres de la mairie de Paris, recensés durant de la nuit de la Solidarité 2020, établissent que 3 552 personnes dorment dans les rues de la capitale. Cette problématique sociétale toucherait plus de 900 000 français, selon le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre. Pourtant, lors du premier confinement, les personnes en situation de précarité étaient dans l’angle mort des mesures sanitaires prises par le gouvernement.
Les mesures annoncées, et prises, par le gouvernement n’ont pas été suffisantes. Pour preuve, l’absence de mention de ces personnes dans les discours prononcés par le Président de la République ou les membres du gouvernement.
La précarité à l’épreuve de la crise sanitaire
La vie de la rue, Gunther, cinquante-sept ans, la connaît. Face à la crise épidémique que traverse la France, il considère avoir fait partie des « grands oubliés » de ce premier confinement. Pourtant, il ne pense pas avoir « vécu d’une façon catastrophique », car il a pu compter sur le soutien de quelques connaissances du quartier.

Après avoir dormi quelque temps dans la rue, il s’estime désormais chanceux d’avoir eu accès à une chambre de 9,3 mètres carrés. Toutefois, il avait du mal à « tenir une journée entière » dans sa chambre, lors de son arrivée. Le passage de la vie dans la rue au confort relatif d’une chambre cloisonnée peut parfois faire l’effet d’une « cellule » pour les personnes sans domicile fixe. D’ailleurs, la plupart préféreraient d’abord trouver un travail et régulariser leur situation administrative avant de rechercher un logement.
En ce qui concerne la réquisition de gymnases afin d’y placer les sans-domiciles fixes, Gunther se demande si « les risques ne sont pas moins importants dans la rue ». Dans cette promiscuité imposée, difficile de réduire les risques sanitaires auxquels les sans-abris sont alors condamnés. Autre problème récurrent : le stockage de leurs affaires. « On manque cruellement de bagageries », regrette Gunther. Ses affaires ont parfois même disparu, après ne pas s’être présenté sur place alors que le délai de stockage autorisé touchait à sa fin. La Mairie de Paris n’est pas en charge de ces « bagageries », et les associations regrettent de devoir parfois faire payer un loyer pour la location de ces espaces. « La Mairie essaye probablement de faire de son mieux », estime Gunther.
« Eux, ils sont confinés dans la rue »
Certaines associations, telles que la Croix Rouge française ou du Secours Populaire ont rapidement tiré la sonnette d’alarme, dès les premières semaines d’avril. Les bénévoles des associations locales tentent également d’agir. A l’instar de Véronique, en charge de l’organisation de distributions alimentaires à la Paroisse Saint Ambroise depuis le début du confinement. Souhaitant « prendre le temps, gratuit, pour et avec l’autre », elle est également à l’origine de la mise en place de cafés matinaux avec des personnes à la rue, tout au long de l’année. Son objectif ? Que la population n’oublie pas que « les précaires existent aussi quand il fait beau et en ce moment, eux, ils sont confinés dans la rue ». Elle qui ne supporte pas les « grands coups de pub » autour de la pauvreté en France et s’est engagée tous les jours durant le premier confinement.
La ville de Paris et l’association Aurore se sont ainsi associées pour permettre cette distribution quotidienne. « La ville a commandé des paniers-repas à l’association, qui sont distribués à certains points de rassemblements dans la ville et au sein de trois ou quatre paroisses », explique Véronique. Difficile de parler de succès, mais l’opération a attiré de nombreuses personnes. « Quand on est à la rue, ce qu’on redoute surtout c’est d’être rejeté » et c’est pourquoi Véronique tente aussi de renouer le lien social et la discussion par le biais de ces distributions.
Marie-Christine, éducatrice à la retraite et bénévole de la bagagerie d’Oberkampf, partage ce constat. Elle a aidé à la distribution de repas à Saint-Ambroise, jusqu’au déconfinement. Elle considérait alors la défaillance gouvernementale comme un « manque de réflexion et d’anticipation à l’égard d’une catégorie de personnes, qui sont les habituels oubliés des politiques ». Cette situation est « vraiment une double peine » : maintenus dans une situation de précarité extrême, ces personnes doivent survivre dans un contexte sanitaire et sociétal instable. Pour la bénévole : « Le problème n’a pas été pris à bras le corps par le gouvernement ».
Des solutions de confinement inadaptées aux sans domicile fixe

Si l’action institutionnelle est insuffisante, certaines mesures ont pu être proposées. Le gouvernement a laissé ouvert, jusqu’au mois de mai, les centres d’hébergement qui devaient fermer à la fin de la trêve hivernale. Mais la diminution de l’accueil de jour dans ces centres, faute de personnel, maintient les sans-abri dans l’incertitude. Sans ces services, difficile pour eux d’appliquer les consignes de sécurité sanitaire et les gestes barrières. Pour les sans-abris infectés, l’État compte ouvrir des « centres de desserrement » destinés à les accueillir, sans pour autant pouvoir les soigner.
Alors, à l’heure où près d’un million de personnes n’ont pas de chez eux, le slogan gouvernemental du « Restez chez vous » a une résonance particulière. Les soignants se plaignent de devoir choisir entre les vies qu’ils pourront ou non sauver. Qu’en est-il des vies de ceux qui risquent de mourir seuls et à la rue ? D’autant que cette problématique n’est pas nouvelle et n’a pas disparu avec le déconfinement. Comment les personnes en situation de précarité vont-elles faire face à un nouveau confinement.
Les propos de l’Abbé Pierre en 2007 n’ont jamais paru autant d’actualité qu’aujourd’hui : « Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides et qui, ayant tout, disent, avec une bonne figure, une bonne conscience : Nous… nous, qui avons tout, on est pour la paix ! Tu sais ce que je dois leur crier, à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs de toute violence, c’est vous ! Et quand le soir, dans vos belles maisons, vous allez embrasser vos p’tits enfants, avec votre bonne conscience, au regard de Dieu, vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients que n’en aura jamais le désespéré ».
Pour plus d’informations sur les engagements bénévoles de la ville de Paris, des informations sont disponibles sur le site de Je m’engage à Paris.