Accueillir les migrants et les soutenir dans leurs démarches du quotidien : un défi associatif

Camp de migrants
Vision d'un camp de migrants. Crédit : Julie Ricard, Unsplash.

La France est un pays considéré comme une terre d’accueil mais elle rejette pourtant 80% des demandes de visa. De nombreuses associations se sont ainsi formées pour combattre ce qu’elles voient ici comme une injustice. Elles luttent paradoxalement pour promouvoir des valeurs humanistes au pays des droits de l’homme. L’enjeu de ces structures est d’accompagner, de former et d’insérer ce qu’on appelle les migrants, réfugiés ou primo arrivants sur le territoire français. Cette insertion permet de les acclimater à la culture française puis de les aider dans leurs démarches administratives et professionnelles.

Se mobiliser pour les exilés, c’est le credo de l’association Utopia56. Les bénévoles agissent directement sur le terrain avec le soutien d’autres associations comme le Secours Populaire par exemple. Ils organisent des maraudes d’informations, moments de convivialité et d’échange autour d’un petit déjeuner servi par l’Armée du Salut. 

L’association est financée à 70% par des dons de citoyens et les 30% restants proviennent d’autres associations ou d’entreprises soumises à une charte éthique. Comme la plupart des associations concernées par l’accompagnement des migrants, Utopia56 se détache complètement de l’État puisqu’elle n’en reçoit aucune subvention et ne souhaite pas toucher d’argent public pour effectuer son travail.

Répartition de la population française en millions

Crédit : Calvin Ropers d’après l’INSEE

Après plusieurs échanges par mail, l’association Utopia56 propose de participer à l’une de leurs missions d’accompagnement de migrants. Le rendez-vous est fixé dans les locaux de l’association situé au 15 rue Moussorgski dans le XVIIIème arrondissement de Paris. L’un des bénévoles d’Utopia s’appelle Victor, il a une vingtaine d’années et s’est engagé dans un service civique pour une durée de six mois. Il explique le rôle d’Utopia dans l’accompagnement des exilés. « On leur apporte un soutien matériel avec des dons mais on est aussi là pour les aider sur le côté juridique ». En effet, le soutien va des gestes quotidiens les plus utilitaires comme savoir rester propre en sachant où prendre une douche. D’autres aides, plus délicates, portent sur comment effectuer correctement une demande d’asile auprès de l’Administration française.

Les migrants dont s’occupent l’association ont souvent des profils très variés. Certains ont une attestation de demandeurs d’asile ce qui leur permet d’être légalement en France, d’autres ne l’ont pas encore obtenus voir même pas demandé. Une autre partie est en « procédure de Dublin ». Cette procédure consiste à déterminer si la personne est arrivée directement en France ou dans un autre pays de l’Union Européenne, auquel cas elle devra retourner dans son premier pays d’accueil. Les migrants désignés dans cette procédure sont souvent craintifs d’être demandeurs d’asile, de peur d’être renvoyés dans le premier pays dans lequel ils étaient arrivés et qui peut à son tour les renvoyer dans leur pays d’origine. Une conséquence qui peut s’avérer désastreuse s’ils sont réfugiés politiques, qu’ils fuient leurs pays à cause d’une guerre ou d’une grande instabilité.

Les actions d’Utopia56 s’effectuent en majorité sur le terrain, comme la distribution de vêtements et de produits de première nécessité (hygiène) ainsi que des maraudes pour rentrer en contact avec les exilés. Le mardi matin, l’Armée du Salut offre un petit déjeuner avec pains, viennoiseries et café non loin de la porte d’Aubervilliers. La majorité des bénéficiaires de ce petit déjeuner sont des migrants vivant aux alentours et qui se rejoignent ici entre 8h et 11h du matin. L’une des bénévoles ne souhaite pas que le rendez-vous soit filmé de peur de gâcher la confiance rudement gagnée auprès des migrants, souvent suspicieux des caméras et des renseignements pris sur eux.

Un bénévole participe à une distribution alimentaire, crédit : extremis, Pixabay.

Ce petit déjeuner est l’occasion pour les bénévoles d’Utopia d’apporter leur soutien en allant à la rencontre de ces migrants. L’idée est d’apporter un soutien moral en prenant de leurs nouvelles, mais également afin de voir s’ils peuvent les aider dans leurs démarches du quotidien. La demande d’asile est l’une des demandes les plus prépondérantes de ces personnes. Nombreux d’entre eux ne parlent souvent pas français et ont donc besoin d’explications et de conseils pour remplir le formulaire nécessaire à leur réclamation. 

« Dans les camps, certains proposent de vendre de fausses attestations, qui sont immédiatement rejetées par l’Ofpra car les histoires sont toujours les mêmes et elle le remarque donc tout de suite », déplore le bénévole. Un effet pervers où de nombreux migrants ont connus énormément de difficultés pour venir en France mais ne sont souvent pas capables de raconter leur histoire à cause de la barrière de la langue et de peur que ça se retourne contre eux-mêmes. 

Les bénévoles d’Utopia56 sont là pour les aider dans ces démarches et peuvent même les accompagner à la préfecture pour s’assurer que le processus administratif se déroule correctement. « Les migrants ont souvent peur des autorités et ils ne savent souvent pas faire respecter leur droit ou avoir le répondant face aux administrations, c’est pour ça qu’il faut les accompagner dans leur démarche », confie Victor.

Malgré la demande au préalable de pouvoir filmer les bénévoles de l’Armée du Salut, l’une d’entre elles s’insurge dès que l’objectif est porté sur leur activité. Un moment difficile où il faut réexpliquer par le dialogue pourquoi la prise d’images est importante pour réaliser un reportage. Un avis pas partagé par la bénévole en question qui souhaite une autorisation de chaque personne qui passe à l’écran. Même si l’autorisation n’était pas formelle, quelques plans d’illustration du petit déjeuner ont été tournés. Un acte qui a sûrement abîmé la confiance avec Utopia 56, qui a prétexté ne pas pouvoir aller sur le camp de migrants dans la journée alors prétendaient pourtant d’avoir prévu d’y aller.

De la destruction des camps de migrants à la discrétion du CHU

A la recherche d’un « nouveau » camp de migrants après celui démantelé fin février 2020 à Porte d’Aubervilliers. Nous sommes arrivées en face d’un Centre d’Hébergement d’Urgence à proximité de porte de la Chapelle. Une odeur nauséabonde traîne dans la cage d’escalier du CHU. Un travailleur social qui passe par là se présente puis nous dirige afin de rencontrer son responsable. Après une dizaine de minutes, il nous fait monter un étage pour nous amener au bureau de la direction. Un petit homme trapu nous accueille avec un sourire, c’est M. Saidi, le directeur de l’établissement. Il refuse immédiatement que l’entretien soit filmé, justifiant qu’il doit « prévenir sa direction afin d’avoir une autorisation ». 

Le directeur explique que la ville d’Aubervilliers ne souhaite pas communiquer sur ce centre d’hébergement d’urgence. « La ville accepte ce type de structure mais elle ne souhaite pas en parler. Cette misère ne serait pas acceptée dans le centre de Paris alors qu’ici on la tolère », affirme-t-il.

Évolution de la délivrance des visas aux étrangers de 2010 à 2019

Crédit : Calvin Ropers d’après l’INSEE

M. Saidi revient sur le CHU qui a été créé récemment, en mars 2019, sous l’impulsion du groupe associatif Alteralia. Ce centre accueille des familles de migrants en leur permettant d’avoir un logement. Il explique que la situation est globalement tranquille car ce sont des familles avec des parents (femmes et enfants). « Le danger c’est quand il y a des hommes seuls » confie-t-il. Selon lui « les hommes entre eux, avec de l’alcool, ça provoque des bagarres ». S’il a été amené à travailler dans ce genre de structure, il explique que c’est « par conviction et par devise, on fait pas ce genre de métier si on n’aime pas ça ».

Peu après, le directeur nous propose de lui envoyer notre demande d’entretien par mail. Après quelques jours sans réponse, il explique au téléphone que l’association Alteralia refuse tout contact extérieur, encore au temps des premiers cas de Coronavirus dans le pays début mars.

Une réponse décevante qui conclut un bref passage dans ce CHU au bord du périphérique parisien accueillant des familles, une partie plus discrète et moins visible des migrants venant aussi s’installer en France.

Une éducation populaire pour pallier au manque d’accompagnement de l’État

L’intégration sociale des migrants, réfugiés et primo arrivant passe par l’apprentissage de la langue française. Mais la plupart des réfugiés sont dans l’illégalité puisque, bien souvent, ils ne disposent pas de visa ou de carte de séjour. Ils ne peuvent donc pas être scolarisés. Selon Éric Emery, il s’agit là d’une faiblesse de l’État français et d’un réel manque dans l’éducation nationale. 

Les différents motifs d’admission entre 2018/2019

Motifs d’admission 20182019évolution 2018/2019
Économique33 67538 843+ 15,3%
Familial 91 01788 778-2,5 %
Étudiant83 70091 495+ 9,3%
Divers15 55819 303+ 24,1%
Humanitaire34 97938 158+ 9,1%
Total258 929276 576+ 6,8%
Crédit : Calvin Ropers d’après l’INSEE

Pour palier ce manque, Éric Emery donne bénévolement des cours de français via l’association BAAM (Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants) : « Nous faisons ses cours par défaut, parce qu’aucune instance publique ne le fait. À la limite, le BAAM ne devrait pas exister ». Parfois, ce sont directement les instances publiques comme Pôle Emploi ou des lycées professionnels par exemple qui contactent l’association pour organiser des cours de français. L’instruction du français pour les demandeurs d’asile n’est donc pas pris en charge par l’État puisque ces personnes ne sont, par définition, pas amenées à rester sur le territoire. Toutes ces personnes sans-papiers prennent alors le risque d’être exploitées, de travailler sans contrat de travail.

L’association BAAM enseigne la langue française aux migrants pour favoriser leur intégration sociale. Crédit : geralt, Pixabay.

Les cours se déroulent souvent dans des lieux publics, des bars, des squats ou parfois dans les locaux de l’association — ou du moins quand celle-ci avait encore des locaux. Le BAAM occupait en effet un espace au sein des Grands Voisins, un ancien hôpital déjà occupé par l’association Aurore. Le 16 septembre 2019, l’association Aurore ferme les portes de ses locaux au BAAM. Prochainement, l’association reviendra dans le 13ème arrondissement de Paris pour continuer de proposer ses services. 

Des services répartis en trois pôles : « l’aide juridique, l’apprentissage du français, et l’insertion sociale en générale, c’est-à-dire faire valoir les droits dont les migrants peuvent jouir », selon Éric Emery. Il ajoute : « Pour ceux qui ont déjà des papiers il y a un pôle de recherche d’emploi également ». Pour l’association, les migrants sont aussi une source de richesse en mettant leurs talents, leurs cultures à disposition. Le BAAM s’assure ainsi les services de différents interprètes et traducteurs issus de différentes régions du globe une fois qu’ils sont formés en français. « Au départ, le slogan de l’association c’était apprendre le français pour apprendre ses droits. Le français ne sert pas qu’à la culture française, c’est aussi un pré-requis juridique », explique le professeur.

« Si aujourd’hui on se bat pour l’accueil des migrants, c’est parce qu’à travers ce combat on mène une lutte au nom de ceux qui sont le plus touchés par l’exclusion sociale. Ce qui se passe pour les migrants se passera ensuite pour les plus pauvres », argumente Éric Emery. Se battre pour l’extension et l’application des droits de l’homme pour les plus exclus, c’est ce qui ressort du combat du BAAM. 

La formation et l’insertion professionnelle pour les migrants

Les migrants qui veulent trouver du travail s’orientent souvent vers le BTP, un secteur en constante recherche de main d’œuvre. Crédit : Grant Durr, Unsplash.

Les réfugiés qui arrivent en France sont le plus souvent très éloignés du marché de l’emploi ; ils doivent être formés, apprendre la langue française et des compétences techniques particulières pour s’insérer socialement et professionnellement sur le territoire. De nombreuses associations viennent en aide à ces personnes en situation de fragilité. Les associations les plus connues du grand public sont celles composées de militants qui accueillent et forment les réfugiés. Mais il existe un autre type d’association, les associations d’employeurs qui travaillent à l’insertion de ces personnes. 

Les Groupements d’Employeurs pour l’Insertion et la Qualification (GEIQ) travaillent dans cette optique. « Ce sont des entreprises de travaux publics dans notre cas qui s’unissent pour intégrer des gens éloignés de l’emploi par le biais de contrats de professionnalisation ou d’apprentissage », explique Karine Heudre, directrice du GEIQ d’Île-de-France. Elle ajoute : « L’objectif est d’apprendre un métier et de faciliter leur intégration en entreprise tout en bénéficiant d’un accompagnement du tuteur de l’entreprise et d’un chargé d’accompagnement du GEIQ ».

« Le parcours classique pour l’insertion c’est les contrats d’intérimaires, or le GEIQ propose une solution plus intéressante pour nous car grâce à l’accompagnement dont ces personnes bénéficient, nous pouvons les suivre dans l’entreprise, les garder avec nous et les faire évoluer », explique Romain Ropion, chef d’agence génie civil chez COLAS. L’accompagnement et la formation permettent de privilégier le côté humain dans le travail, ne plus seulement avoir affaire à des faiseurs sans visages et sans noms mais des êtres humains qu’il faut accompagner et encadrer. De ce fait, tout le monde est gagnant, l’entreprise dispose d’une source de main d’œuvre intarissable et les réfugiés, migrants et primo arrivants disposent d’un métier, d’un revenu stable.

Des personnes aux profils uniques arpentent les couloirs du GEIQ au moment des entretiens de recrutement. C’est le cas par exemple de Kanté Gambala qui est arrivé en France le 12 septembre 2017, une date qu’il n’oubliera jamais. Ce jeune garçon de 18 ans fuyait alors le Mali. « Bien-vivre, c’est pour ça que j’ai quitté le Mali pour venir ici, je voulais bâtir ma vie et je vais commencer bientôt ma formation pour devenir coffreur ».

Manifestation pour le droit d’asile à Lyon en 2018, Crédit : EV.

L’immigration représente un enjeu politique, économique et social. Pour des raisons politiques, les CHU doivent se terrer en bord de métropole, ne surtout pas faire de vagues. Pour ces mêmes raisons politiques, les migrants refusent d’êtres filmés, paralysés par la peur d’être retrouvés – soit par l’État, leur propre gouvernement ou par une autre communauté de migrants. Il existe par exemple une véritable rivalité entre migrants soudanais et libyens sur le territoire français avec parfois des règlements de compte selon Éric Emery. C’est par l’économie et grâce aux travailleurs sociaux issus des différentes associations que les migrants sont pris en charge et intégrés dans la société française.

Depuis les mesures prises par le gouvernement pour l’épidémie du Coronavirus, les migrants se trouvent dans une situation paradoxale où leur lieu de confinement n’est rien d’autre que la rue. Une situation encore plus compliquée car les centres d’hébergement ferment leurs portes un à un alors que les migrants sont censés être interdits de rester dehors. Une exposition d’autant plus risquée à cause de l’insalubrité des camps et de la crise sanitaire actuelle. 

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