Le nucléaire en France : un débat entre ceux qui le défendent et ceux qui veulent en sortir

Centrale nucléaire de Civeaux à Vienne, mise en service en 1997. (Crédits : Daniel Jolivet/CC/flickr).

Entre la fermeture de la centrale de Fessenheim et les premiers essais de l’EPR de Flamanville, le nucléaire continue à faire parler de lui. D’autant plus que dans un contexte d’urgence climatique, le choix de la politique énergétique française est au cœur de tous les débats. Le nucléaire est une des énergies les plus décarbonée et pourtant, certaines questions comme les déchets radioactifs, la sûreté nucléaire ou encore le vieillissement du parc nucléaire français divisent.

70 % de la production d’électricité en France repose sur le nucléaire. Au total, 18 centrales nucléaire sont en état de marche, soit 57 réacteurs selon l’ASN (Autorité de sûreté du nucléaire). Le nucléaire est une énergie pilotable, « elle peut produire de l’électricité à n’importe quel moment de la journée et en quantité suffisante », explique Claude Jaouen, cofondateur de l’association Les voix du nucléaire qui a réalisé toute sa carrière chez AREVA (devenue Orano). A contrario des énergies intermittentes, comme le photovoltaïque ou l’éolien, qui dépendent de la météo, de la saison ou de l’heure de la journée. Par ailleurs, l’électricité produite par les énergies intermittentes ne peut pas être stockée. Et si jamais elle pouvait l’être, il faudrait avoir recours à des batteries en lithium, source de pollution importante. C’est pourquoi le choix du nucléaire apparaît comme un compromis entre la capacité de production électrique et les émissions de CO².

Un scénario de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) démontre que les énergies renouvelables pourraient, d’ici 30 ans, répondre à la totalité des besoins en électricité. Une étude a notamment affirmé qu’il était possible d’accumuler de l’électricité produite à partir d’énergies intermittentes pendant une semaine, et ce même s’il gèle ou qu’il n’y a pas de vent. « Le test passe. Il existe également des solutions de stockage », atteste Alix Mazounie, chargée des campagnes « Énergie » à Greenpeace France. Elle s’appuie aussi sur la possibilité d’alterner entre les différentes énergies en fonction des conditions météorologiques par exemple.

Le nucléaire : la clef décarbonnée pour ralentir le réchauffement climatique ? 

Dans un contexte d’urgence climatique, la production électrique d’origine nucléaire apparaît comme une solution viable. « Globalement, l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle nucléaire en France est plus faible qu’ailleurs », explique Claude Jaouen. « L’ensemble du cycle » comprend la quantité de CO² émise pour la production d’électricité mais également la construction des centrales, la fabrication des combustibles, le traitement des déchets et le démantèlement des centrales.  

La quantité de CO² émise par la production d’électricité nucléaire varie entre la France et le monde. En effet, alors que la moyenne mondiale rapporte cette quantité à 12 grammes par kilowattheure, elle est divisée par deux pour la France. Cela s’explique par la présence d’une usine d’enrichissement de combustibles au Tricastin dans le sud de la France. Ce site permet d’enrichir l’uranium directement sur le territoire français, évitant son importation et donc les émissions de CO²

Bernard Laponche, ancien ingénieur au Commissariat de l’énergie atomique (CEA) nuance cet argument. Il ne remet pas en cause la faible quantité de CO² émise, mais pour lui : « On ne peut pas faire des émissions de CO² la seule politique ». Il donne l’exemple des voitures diesel : « [les voitures] diesel, on les chasse non pas pour ses émissions de CO² mais parce qu’elles émettent plus de particules chimiques. » 

Aussi, l’urgence climatique est une urgence mondiale. Et le débat autour de l’énergie nucléaire comme solution ou non contre le réchauffement climatique s’observe à deux échelles distinctes : celle de la France et celle du monde. Alix Mazounie estime que, « dans un pays qui a déjà du nucléaire, pourquoi pas, mais dans un pays où il n’y a pas encore de nucléaire, ça serait absurde d’en construire. » 

La situation mondiale doit donc être différenciée de la situation française. En 2017, nous comptons 454 réacteurs répartis dans 31 pays dont 57 en France. Alix Mazounie s’appuie d’ailleurs sur le rapport de Mycle Schneider, un rapport annuel sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde. « Si on voulait que le nucléaire évite 10 % des émissions de CO² mondiales, il faudrait construire un nouveau réacteur tous les quinze jours durant les vingt prochaines années. Ça supposerait un déploiement massif du nucléaire. À noter qu’il faut dix à 19 ans pour démarrer une centrale nucléaire. » 

Toujours dans ce contexte d’urgence climatique, plusieurs scénarios tentent d’imaginer des transitions énergétiques viables et atteignables. Ces scénarios peuvent être réalisés à l’échelle internationale, comme ceux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou à l’échelle de la France comme ceux de Négawatt ou de l’ADEME. Certains prônent une transition énergétique à partir d’énergies 100 % renouvelables, d’autre s’appuient sur l’énergie nucléaire.

À la question : « Le nucléaire peut-il apparaître comme une solution viable pour lutter contre le réchauffement climatique ? », certains alertent sur la capacité de résistance des centrales nucléaires aux changements climatiques. « On constate que le nucléaire n’est pas une technologie qui s’adapte au réchauffement climatique. Pour refroidir une centrale nucléaire, il y a besoin d’eau. Or on va entrer de plus en plus dans un contexte de stress hydrique », alerte Alixe Mazounie. Bernard Laponche, lui, nous invite à se rappeler de l’accident de Blayais en 1999 : « Après la tempête, l’eau a monté. Si elle montait plus, elle noyait les diesels et on aurait assisté à un Tchernobyl ou Fukushima. »

Vers une décroissance du  nucléaire ?  

La loi de la transition énergétique pour la croissance verte, adoptée en 2015, officialise la baisse de la part nucléaire dans la production d’électricité en France. L’objectif est de ramener le taux à 50 % d’ici 2035, un objectif d’ailleurs retardé de dix ans.

Dans l’urgence climatique, le développement des énergies renouvelables est une stratégie pour diminuer les émissions de CO². En parallèle, l’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), un droit octroyé aux fournisseurs alternatifs d’électricité pour la période allant de 2011 à 2025, a été créé. Ce dispositif stipule que les fournisseurs d’électricité concurrents d’EDF ont le droit d’acheter à ce dernier, depuis 2012, des volumes d’électricité à un prix régulé, fixé à 42 euros par mégawattheure.  

Dans la lecture du débat autour du nucléaire, il est important de ne pas oublier que cette énergie est la vitrine de l’industrie française : « Dans le monde entier on était un modèle », s’émeut Cécile Crampon de la Société Française d’Énergie Nucléaire (SFEN). Elle défend en effet que le nucléaire est transparent, savant et que tout a été calculé pour que rien n’arrive.  

Pour Bernard Laponche, ex-ingénieur du CEA, le parc nucléaire français est vétuste et les réacteurs de plus de 40 ans devraient être fermés : « On ne peut pas changer la cuve et on prend un risque à utiliser les réacteurs au-delà de 40 ans. Personne ne peut attester que Fessenheim était en état de continuer à fonctionner. » Cela soulève alors la question des centrales nucléaires en fin de vie. Pourtant, les centrales sont très souvent contrôlées et passent une batterie de tests comme l’atteste Isabelle Saulnier, directrice déléguée de la transformation ingénierie chez Edvance, une filiale commune d’EDF et de Framatome, qui explique le poids des visites décennales : « Tous les dix ans, il y a une visite qui oblige les ingénieurs à établir un dossier durant deux ans. » 

Le premier réacteur de Fessenheim, la plus vieille centrale de sa génération, a été fermé le 22 février 2020 et le deuxième le 30 juin. Une fermeture qui s’explique par des raisons écologiques mais aussi politiques, selon Isabelle Saulnier : « La fermeture de Fessenheim est le fruit d’une alliance de François Hollande avec les Verts dans le cadre de la loi transition énergétique et solidaire. » En moyenne, EDF estime que le démantèlement d’une centrale coûte entre 300 et 500 millions d’euros.

L’EPR de Flamanville : le progrès… retardé ? 

L’histoire du nucléaire a récemment été marquée par l’arrivée d’un réacteur, dit de troisième génération, les EPR (Evolutionary Power Reactor). Il permettrait, en résumé, de « produire plus avec moins ».

Le projet de la centrale nucléaire de Flamanville en France devait être la vitrine de ce progrès industriel. Lancée en 2007, sa construction accumule déjà huit ans de retard. Un non-respect des délais que beaucoup attribuent à la perte du savoir industriel nucléaire français. Pour cause, cela faisait quinze ans que la France n’avait pas construit de centrale nucléaire sur le sol national.

Le chantier de Flamanville (Crédit : shoella/CC/Wikipédia.) 

Pourtant, Claude Jaouen défend : « Ce n’est pas le produit qui est en cause. Le produit est sain et révolutionnaire. On est sur un engin qui va fonctionner. Après c’est indéniable, on a commis des erreurs dans la construction. » Il ajoute à ces erreurs, une certaine « dérive administrative » de l’ASN. Selon lui, cette dernière imposait des réglementations sur des éléments qui avaient déjà été construits. 

Cependant, même s’il admet que « Flamanville est une grosse épine dans le pied », pour lui « les dérives des coûts sont des faux problèmes ». Il compare d’ailleurs le coût du projet de Flamanville à celui du projet de parc éolien off-shore dans le Cotentin. Ces deux projets vont produire dix térawattheure par an. L’EPR de Flamanville coûte 12 milliards d’euros tandis que le projet du parc éolien off-shore est estimé à 25 milliards. Claude Jaouen précise qu’il faut ajouter environ 15 milliards d’euros à ces 25 milliards d’euros pour l’adaptation du réseau électrique. 

L’EPR de Flamanville pourra fonctionner dans deux ans. En septembre 2019, les premiers essais à chaud, réalisés avec de la vapeur d’eau, ont été un succès, et ce, même avec les problèmes de soudures détectés. Des problèmes de soudures qui avaient d’ailleurs beaucoup fait parler d’eux.

Mais tout le monde ne voit pas l’EPR de Flamanville d’un bon œil, comme Bernard Laponche : « Il a vécu une vie de défauts. Ainsi, personne n’a le droit de dire que quoi ce soit au sujet de l’EPR. Il faut attendre qu’il fonctionne. Peut-être que dans vingt ans on pourra vanter les EPR mais pas maintenant. »

Les déchets nucléaires au coeur du débat  

Autre épine dans le pied : les déchets nucléaires. C’est inéluctable, on ne sait pas se débarrasser des combustibles usés. Depuis des années, la filière nucléaire est investie pour trouver une solution. Parmi elles, Cigéo à Bure, un projet d’enfouissement, à 500 mètres de profondeur, des déchets radioactifs dits de haute et moyenne activité à vie longue « dans des terres particulières en argile en France », précise Isabelle Saulnier.


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Avant cette étape, les déchets sont traités, et parfois recyclés à la centrale de La Hague. L’autre partie des déchets, qui ne peuvent pas être réutilisés, sont ensuite « stockés à La Hague en attendant l’ouverture de la centrale de Bure où pourront être enfouis les déchets les plus radioactifs », explique Isabelle Saulnier. Tout est calculé pour que la radioactivité ne migre pas, prenant en compte, entre autres, les risques de catastrophes naturelles ou d’attentats terroristes : « C’est une solution validée par l’Académie des sciences et par l’ASN. Preuves que c’est, aujourd’hui, la valeur la plus sûre au monde », soutient Claude Jaouen. Pour Alix Mazounie de Greenpeace : « Le recyclage du nucléaire en France est un mythe. On ne sait pas gérer ces déchets. »

Néanmoins, certains redoutent l’impact environnemental et les conséquences de la gestion des déchets radioactifs : « Il y a des rejets colossaux dans la mer. Dans le monde, il n’y a que la France et la Russie qui font des retraitements. Les déchets radioactifs sont dangereux pendant des centaines de milliers d’années. La meilleure solution serait alors de laisser les déchets à la surface pour les contrôler », démontre Bernard Laponche. 

« Il faut continuer à investir dans la recherche et le développement pour réduire le volume de déchets produits, réduire la toxicité, brûler les déchets à vie longue pour en faire uniquement des vies courtes. Avec le projet Cigéo, on propose une solution pour ne pas les laisser à la surface. Je ne souhaite pas léguer ça aux générations futures qui ne sauraient pas quoi en faire… », concède Claude Jaouen.

La sûreté nucléaire : le point névralgique du débat 

La question de la sûreté nucléaire est également une question essentielle du débat sur l’énergie nucléaire, et ce, surtout depuis les trois accidents nucléaires de Three Miles Island aux États-Unis, Tchernobyl en Ukraine et Fukushima au Japon. 

Pour Claude Jaouen, « la peur est telle que c’est extrêmement simple de l’exploiter. C’est quand même l’outil de base des anti-nucléaires en termes de communication. » Il rappelle d’ailleurs que le parc nucléaire français a été exploité sans aucun accident nucléaire : « Depuis 50 ans, on est assez exemplaire dans ce domaine. » L’industrie nucléaire est une des industries les plus surveillées dans le monde. « Il n’y a aucun autre équivalent dans aucun autre secteur », assure Claude Jaouen. 

La surveillance de l’énergie est assurée à plusieurs échelles. À l’échelle internationale, c’est l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). En France c’est l’ASN. Alix Mazounie concède : « On a la chance d’avoir une autorité de sûreté nucléaire beaucoup plus indépendante que dans d’autres pays. Et ça, ça joue en faveur de la bonne gouvernance du nucléaire. » Pour autant, pour elle, l’ASN a un pouvoir de sanction trop limité et reste un organisme qui fait partie de la filière nucléaire. 

Pour déterminer l’importance des évènements nucléaires, l’AIEA a établi une échelle internationale, allant de 0 à 7, des évènements nucléaires. « Niveau 7, c’est Tchernobyl. Il y a beaucoup de déclarations d’incidents de niveau 1. À chaque incident, l’ASN est obligé de publier un communiqué de presse », comme l’explique Cécile Crampon. Par exemple, laisser une porte ouverte, ou encore une panne sans conséquences sont considérés comme des accidents de niveau 1.

Aussi, Claude Jaouen recontextualise : « Le nombre de morts induits, en termes de morts potentielles, par les dégagements de C0² de l’énergie produite par l’énergie fossile est relativement supérieure au nombre de morts potentielles et hypothétiques qu’on pourrait avoir en cas d’accident nucléaire avec notre parc nucléaire. » 

Il précise qu’aucun scénario accidentel sur l’EPR de Flamanville ne conduirait à une contamination au-delà du site nucléaire lui-même. « Évidemment, le risque zéro n’existe pas. Il faut continuer à prendre en compte les accidents. Sans minimiser les faits, c’est une industrie à risques qui doit être contrôlée et maîtrisée », nuance-t-il. 

Pourtant, l’ancien président de l’ASN, Pierre Franck Chevet, a déclaré lors d’une interview au Monde en avril 2016 qu’« un accident majeur, comme ceux de Tchernobyl ou Fukushima ne peut être exclu nulle part dans le monde et en Europe. » Alix Mazounie, quant à elle, s’interroge : « Est-ce qu’on a besoin de 58 réacteurs nucléaires en France s’il n’y a pas de sûreté à 100 % ? » 

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