De nos jours, seulement muni d’un smartphone, n’importe quel individu, mineur ou majeur, peut parier de l’argent réel sur le sport. Une facilité et une accessibilité certes louée dans les publicités de paris sportifs mais qui peut avoir de lourdes conséquences sur la santé et la vie des joueurs. C’est ainsi que certains d’entre eux, en raison de leur addiction, se retrouvent dans des situations de grande détresse. Pour y faire face, plusieurs moyens sont mis en œuvre pour leur venir en aide. État des lieux de cette pratique qui a le vent en poupe.
« Des fois je gagnais de grosses sommes et j’arrivais à tout perdre en l’espace d’une soirée parce que je n’arrivais pas à m’arrêter », témoigne Jean*, ancien joueur addict aux paris sportifs. Comme lui, de plus en plus de parieurs sportifs tombent dans l’addiction. Aujourd’hui âgé de 56 ans, il a réussi à s’en sortir et à en guérir. Il témoigne de cette période difficile, où il était addict à l’alcool et au cannabis, en étant heureux que cette partie de sa vie soit désormais derrière lui.
Jean est tombé dans l’addiction avec les paris sportifs « physiques », puis avec ceux en ligne. Paradoxalement, c’est cette deuxième catégorie qui lui a permis de ne pas sombrer davantage. « Je me réjouis de ne pas avoir insisté avec les jeux en ligne ». Il se souvient comment il est tombé dans l’engrenage. « Dans les quartiers populaires où j’habitais, des tournois étaient organisés avec des équipes qui cotisaient un certain nombre de matchs. Si on gagnait, on avançait au tour suivant. Les récompenses étaient immédiates et plus on allait loin, plus il y avait de gains. C’était une forme de paris sportifs “bon enfant” ».
« La facilité déconcertante avec laquelle on peut faire les paris entraîne souvent une addiction.»
Un joueur
Outre les tournois, les premiers passages au PMU sont aussi intervenus assez tôt. Avec deux ou trois amis, ils s’y rendaient, en toute facilité, pour aller faire les jeux à la place de leurs parents. Ces facteurs de facilité, de convivialité sont – entre autres – de ceux qui font tomber les gens dans l’addiction d’après Thomas Gaon, psychologue au centre Marmottan. « La facilité déconcertante avec laquelle on peut faire les paris entraîne souvent une addiction. Il suffit juste d’aller dans un PMU avec un billet puis c’est parti. En plus c’est quelque chose de convivial. Si vos amis ou vos parents jouent, vous avez plus tendance à jouer. Et c’est à partir de ce moment qu’on commence à tomber dans l’addiction, même si on ne s’en rend pas toujours compte. »

Comme n’importe quelle addiction, elle est difficile à déceler chez les gens, même si l’aspect financier peut donner certaines indications. « J’ai commencé à prendre conscience de mon addiction lorsque mon compte en banque était en dessous de zéro. Et à partir de ce moment-là, on passe par plusieurs phases. D’abord celle du gain, en croyant que les gains vont pouvoir résoudre toutes les difficultés. Ensuite la phase de perte où le joueur croit qu’il va se refaire, puis celle de désespoir qui peut durer plusieurs années », déclare Jean. Un mécanisme de destruction que connaît parfaitement le psychologue : « Ils se disent qu’ils jouent pour espérer récupérer de l’argent. Sauf qu’ils finissent par en perdre plus qu’au début, donc ils rejouent pour en récupérer plus. C’est un véritable cercle vicieux qui a des conséquences dramatiques pour les additcs. Ils développent notamment du stress, de l’anxiété, de la honte. Des sentiments qui les amènent souvent à se couper de tout lien social. »
Des structures qui viennent en aide aux joueurs
Pour se relever de cette situation, les victimes d’addictions peuvent trouver refuge auprès de certaines institutions comme SOS Joueurs. Créée en 1990, cette association à but non lucratif vient en aide aux joueurs en état de dépendance aux jeux d’argent. « Nous travaillons en étroite collaboration avec des avocats, des assistants sociaux ou encore des psychologues. Le but étant d’accompagner au mieux ces personnes et pour les aider à guérir », explique Armelle Achour, directrice de l’association qui travaille aussi avec les plateformes de jeux. La Fédération Française des Jeux (FDJ) est le premier contributeur mécène au budget de SOS Joueurs, l’association ne bénéficiant toujours pas de financement public.

Cette association, comme les autres, travaille en étroite collaboration avec des centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie, plus connus sous l’appellation CSAPA. Rattachées à des hôpitaux, ces structures reçoivent des patients dépendants à différentes activités, comme les jeux vidéo ou les jeux d’argent. L’un des premiers à s’être spécialisé en toxicomanie est le centre Marmottan, créé en 1971 et rattaché à l’hôpital Saint-Anne. « C’est un très grand organisme composé de plusieurs unités, décrit Thomas Gaon. Nous sommes environ 70 personnes, dont beaucoup de médecins psychiatres, un poste assez rare et très recherché dans les CSAPA. »
Avec plusieurs psychologues, des assistant(es) social(es), des infirmier(es), des accueillants chargés de faire le lien entre les patients et l’institution (certains sont d’anciens consommateurs), c’est ainsi toute une équipe qui se met au service du joueur. « Dès son arrivée, on cherche à savoir la raison et le souhait pour lequel la personne vient nous voir. C’est une étape extrêmement importante », précise le psychologue clinicien. Car l’accueil est primordial afin que le futur patient ne se sente pas seul. « Comme en cancérologie, on pose tout sur la table. On lui explique le jeu pathologique, ses conséquences et qu’il y a un espoir de se soigner, poursuit Thomas Gaon. On fait preuve de franchise, car la guérison est longue et difficile, avec beaucoup de rechutes. »

Arrive ensuite le projet thérapeutique. La personne, toujours en coopération avec l’équipe du centre, se fixe un objectif et un calendrier pour le réaliser. Certaines mesures peuvent être mises en place (avec la banque, sur le téléphone, …) comme une interdiction de jeu, des remboursements de dettes étalés ou une mise sous curatelle. « On les protège, on les conseille en regardant ce qu’il ou elle peut mettre en place ou accepter pour arrêter l’hémorragie, et à terme, reprendre le contrôle. Mais cela ne signifie pas forcément arrêter de jouer. »
« Il faut bien comprendre que le jeu abîme la vie de la personne »
Thomas Gaon
Accompagné d’un traitement médical comme la prise d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques, voire d’une hospitalisation quand elle est nécessaire, les CSAPA offrent une prise en charge globale aux joueurs dans le besoin. « On travaille aussi sur des sujets plus profonds comme renouer des liens avec sa famille. Il faut bien comprendre que le jeu abîme la vie de la personne, que celle-ci est souvent perdue à son arrivée et qu’il faut lui expliquer ce que va devenir son quotidien sans les paris sportifs », conclut le psychologue.

Généralement âgés entre 40 et 60 ans, les patients addicts aux paris sportifs sont de plus en plus jeunes. Logique aux vues des chiffres exposés par les différents organismes des jeux d’argent et de hasard, les joueurs de 18 à 25 ans sont donc progressivement plus nombreux à être dans le besoin de soins. Certaines personnes ont parfois même commencé à jouer avant leur majorité. Pour les prendre en charge, il existe des consultations jeunes consommateurs (CJC) accueillant des adolescents et jeunes adultes âgés de 12 à 25 ans.
Traitant tout type de conduites addictives, la manière de travailler avec les patients est relativement différente de celle des CSAPA, et ce, en raison de leur jeunesse. Ainsi, pour tout individu âgé de moins de 19 ans, le centre mettra en place une thérapie familiale. « On est dans un échange avec les parents. On communique avec eux pour voir leurs connaissances des jeux et comment ils peuvent intervenir auprès de leur enfant. C’est à eux de faire une partie du travail », raconte Céline Bonnaire, psychologue au CJC du centre Pierre Nicole de la Croix-Rouge française.
Car ce ne sont pas directement les adolescents addicts aux paris sportifs, mais plutôt leurs parents, qui demandent de l’aide. Moins conscients de leur dépendance, ces jeunes joueurs n’ont pas la même capacité qu’un adulte pour ralentir leur addiction. « Certaines régions cérébrales, dont celles permettant de freiner les comportements addictifs, n’arrivent à maturité qu’à l’âge de 25 ans, précise la psychologue. C’est notamment pour cela que la thérapie familiale et les parents sont la meilleure protection. »
Les mineurs sont-ils assez protégés ? Depuis l’article 3 de la loi du 12 mai 2010, les personnes âgées de moins de 18 ans « ne peuvent prendre part à des jeux d'argent et de hasard dont l'offre publique est autorisée par la loi ». Malgré l’interdiction, les joueurs mineurs sont de plus en plus nombreux au fil des années. Ainsi, d’après l’enquête Escapad menée par l’OFDT en 2017, 39 % des jeunes âgés de 17 ans indiquent avoir déjà joué au minimum une fois aux jeux d’argent et de hasard sur an. Plus préoccupants, les pronostics et paris sportifs sont pratiqués par 17 % de ces adolescents, derrière les jeux de tirage, de grattage ou instantanés (31 %). Pour faire obstacle à cette pratique, les opérateurs sont tenus depuis 2010 de faire en sorte que les mineurs n'aient pas accès aux paris sportifs. Toute communication commerciale en leur faveur est aussi interdite sur l’ensemble des supports qui leur sont accessibles (article 7). C’est notamment le cas à la télévision pour laquelle le CSA, depuis janvier 2013, demande à ce que toute représentation de mineurs ou toute mise en scène de personnalités, personnages ou héros de l’univers des enfants soient proscrites au sein des publicités. En complément de ces mesures législatives, des actions de prévention sont mises en place contre ce phénomène. L’Autorité nationale des jeux (ANJ) en janvier 2020, est ainsi partenaire de l’association e-Enfance qui sensibilise fortement au sein des établissements scolaires. L’ANJ réalise en parallèle des contrôles « opérateurs » sur les conditions d’ouvertures des comptes-joueurs ainsi que leur gestion. En dépit de toutes ces interdictions, les moins de 18 ans trouvent tout de même le moyen de contourner les obstacles. « Beaucoup de mineurs prennent la carte bancaire parentale ou créent des comptes sur les applications avec leurs identités. Au bout d’un moment, les parents sont dépassés et finissent par nous appeler », précise la directrice de SOS Joueurs. Une pratique d’autant plus dangereuse que le risque de jeu problématique est presque trois fois plus élevé chez les mineurs (11 %) par rapport aux adultes (4,6 %) selon une enquête de l’Observatoire des jeux (ODJ) et de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) de 2014.

Les jeux d’argent, présents depuis des millénaires
Pour comprendre l’augmentation de jeunes et de mineurs dans les paris sportifs, il est essentiel de se rappeler que la France est un pays qui pratique les jeux d’argent depuis plusieurs siècles. Et que dans le monde cela existe depuis plusieurs milliers d’années et l’Ancien Babylone. Les notions d’argent et de hasard ont fait et continuent de faire vibrer les sociétés. À travers les âges, certains peuples ont essayé de mettre fin à ces pratiques. L’Empire romain et l’Empire grecque ont notamment interdit les jeux de dés et les jeux d’osselets dans les lieux publics. Ce sont ensuite les religions musulmanes, chrétiennes et juives qui ont emboîté le pas.
Pour autant, le développement de ces jeux n’a cessé de croître à travers les âges. Au XIXe siècle, la France a notamment créé la roulette après avoir instauré la Loterie royale, plus tôt. Après le black-jack, le poker, les casinos, ce sont aujourd’hui les paris sportifs qui ont le vent en poupe. D’abord cloisonné avec seulement le Pari mutuel urbain (PMU) et la Française des Jeux (FDJ), le paysage des opérateurs a explosé dans les années 2000.

En cause, l’accessibilité d’Internet à une grande partie de la population et l’ouverture à la concurrence pour un nouveau marché en 2010. Ce dernier a été réglementé par le gouvernement avec la mise en place « d’un régime d’agréments d’opérateurs privés » portant sur les jeux suivants : paris sportifs, hippiques et jeux de cercle. Depuis cette date, de nouveaux opérateurs ont fait leur apparition dans le paysage des paris sportifs. En élargissant le nombre de sociétés proposant de tels services, les parieurs se sont donc retrouvés face à un panel conséquent.
Un élargissement qui a souvent rimé avec l’accroissement de l’accessibilité des paris sportifs et la création d’une offre virtuelle regroupant les jeux de loterie, les paris hippiques et sportifs ou encore le poker.
Même si aujourd’hui tout le monde peut parier de l’argent sur des rencontres ou des événements sportifs, le poker reste toujours le plus joué en ligne avec 69,8% de ses parts. Les paris sportifs en virtuel ont, quant à eux, littéralement explosé ces dernières années. En l’espace de cinq ans, leur part de jeu en ligne a plus que doublé, passant de 26,1% en 2014 à 61% en 2019. Dans le même temps, le volume des mises des paris sportifs a été multiplié par 2,8 en cinq ans, toujours selon l’ODJ et l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT).

Une augmentation significative qui amène les professionnels de ce secteur à parler de culture du pari sportif. « La pratique a remplacé le turf et les paris hippiques qu’on connaissait avant. La population qui parie sur l’hippisme est devenue de plus en plus vieillissante, ce qui a forcé les opérateurs à s’orienter vers les paris sportifs. Ces derniers ont ciblé une population plus jeune avec énormément de publicités percutantes et ciblées. Tout ce stratagème a parfaitement fonctionné quand on voit l’explosion du nombre de parieurs sportifs en ligne. On a sans doute basculé dans une culture du pari sportif », affirme Armelle Achour. Une culture du pari sportif qui se traduit donc par la quantité d’opérateurs de jeux présents en France. Ces entreprises restent toutefois réglementées sous l’ANJ mais aussi sous l’OFDT. Ce dernier a repris les missions de l’ODJ le 1e juillet dernier.
Il faut consulter dès que ça dérape. Pareil pour l’entourage. Dès qu’une personne à des problèmes d’argent suspects, il faut lui en parler et l’informer qu’il existe des consultations gratuites et anonymes. »
Thomas Gaon
La solution pour remédier à l’addiction ne serait-elle pas alors d’interdire les paris sportifs ? Pas pour Thomas Gaon. Selon lui, il faut prendre conscience qu’il existe une maladie pathologique et qu’il faut la repérer le plus tôt possible : « Il faut consulter dès que ça dérape. Pareil pour l’entourage. Dès qu’une personne à des problèmes d’argent suspects, il faut lui en parler et l’informer qu’il existe des consultations gratuites et anonymes. »
Mais selon des professionnels des comportements addictifs, l’accès aux soins demeure encore méconnu. « Il y a un écart entre les chiffres et le nombre de consultations, remarque Céline Bonnaire. La demande de soins est encore très faible, car il y a manque de reconnaissance de la dangerosité des jeux d’argent et de hasard. Ce n’est pas une activité anodine. » Face à l’explosion de la consommation du pari sportif et la crise économique due au contexte sanitaire, le problème d’addiction pourrait être un fléau encore trop sous-estimé.