L’impact des dates limites de consommation sur le gaspillage alimentaire

Rayon d'un magasin

Pour une grande majorité des Français, lorsqu’un produit a dépassé sa date limite de consommation, le premier réflexe, c’est de le jeter. Mais dans de nombreux cas, l’aliment en question peut être encore mangé quelques jours voire quelques semaines après. Face à cette mauvaise habitude, associations et géants de l’agroalimentaire se mobilisent. 

Le gaspillage alimentaire nous concerne tous, selon l’autorité européenne de sécurité des aliments (ADME), chaque année un Français jette 29 kg de nourriture ce qui représente environ 108 €. Concrètement, cela correspond à un repas mis à la poubelle chaque semaine. En 2019, ce gaspillage alimentaire représentait 16 milliards d’euros soit 10 millions de tonnes de nourriture jetées par an. En France, 19 % des émissions de CO2 sont dues au secteur alimentaire. Au niveau mondial, si le gâchis de nourriture était un pays, il serait le 3e plus gros émetteur de gaz à effet de serre après la Chine et les Etats-Unis. La lutte contre le gaspillage paraît donc essentielle dans le combat contre le réchauffement climatique. 

Que représente le gaspillage alimentaire en France ? © Charlotte Kaiser / Arthur Meuriot 
Source : ADEME

Selon la Commission européenne, les dates de consommation sont responsables de 20 % du gaspillage alimentaire dans les foyers (eux-mêmes responsables de 33 % du gaspillage alimentaire en France), et de 5 % au niveau de la production et sont la plus grosse source de gaspillage dans la grande distribution. Une des pistes envisagée pour cette démarche « anti-gaspi » semble donc être celle concernant les dates de péremption. Initialement, les dates de consommation répondent à deux objectifs issus du code de la consommation de 1905 pour garantir des produits sûrs, sains et loyaux. Dans un premier temps, il s’agit d’assurer la sécurité sanitaire des aliments. Les consommateurs doivent avoir la garantie de manger des aliments bons pour leur santé. Dans un second temps, les dates doivent certifier la qualité gustative, physique et nutritionnelle des aliments. Cette qualité est obligatoire pour répondre au principe de qualité mais aussi pour préserver l’image de marque. Dans un troisième temps, les dates de péremption permettent la traçabilité des produits tout au long de la chaîne alimentaire. 

Une distinction floue entre les différentes dates de péremption

Il existe deux types de dates : les DLC et les DDM. La Date Limite de Consommation (DLC) est à vocation sanitaire et est obligatoire depuis 1984. Passé cette date, le produit considéré comme hautement périssable peut présenter des risques pour la santé. En revanche, la Date de Durabilité Minimale (DDM), ex-DLUO (date limite d’utilisation optimale), signifie que l’aliment en question perd des propriétés organoleptiques, peut changer de texture et de couleur, mais ne présente pas de risque pour la santé. La non-distinction entre ces deux dates entraîne du gaspillage alimentaire. Plus de la moitié des consommateurs ne fait pas la différence. En 2019, 10% d’entre eux jetaient leur produit une fois la DDM dépassée. 

En plus de cette distinction entre DDM et DLC, il faut ajouter les recommandations que vous pouvez retrouver chez votre boucher, boulanger ou épicier. Celles-ci concernent les produits transformés par les commerçants sur le lieu de vente. Nous pouvons alors retrouver « emballé le » mais aussi « préparé le », qu’il faut affilier à « meilleur avant le », comme une DDM. Volontairement, l’artisan va choisir de noter « emballé le » pour que les clients achètent le produit sans se dire qu’ils doivent le consommer dans les 24 heures qui suivent. Néanmoins, les conseils de conservation sont souvent inscrits dans les boutiques que vous fréquentez. Par exemple, pour le bœuf haché, on estime qu’il faut la consommer entre 1 et 2 jours après sa préparation, 3 à 5 jours pour la viande et le poisson cuit et enfin 7 jours pour la saucisse fraîche. 

Agir sur les dates c’est donc agir directement sur l’anti-gaspillage. Pour rappel, elles représentent plus de 10 % des 88 millions de tonnes de gaspillage alimentaire en Europe, soit une valeur comprise entre 3 et 6 milliards d’euros. Face à ces chiffres, c’est donc aussi à l’Union européenne d’agir. C’est le cas de Biljana Borzan, euro-députée croate, auteure d’un rapport datant de mai 2017 sur le sujet. Le texte proposait un ensemble de mesures visant à réduire de 30 % d’ici à 2025 et 50 % d’ici à 2030 les 88 millions de tonnes de nourriture gâchée chaque année dans l’UE. 

« Le gaspillage alimentaire entraîne aussi le gâchis d’énergie, d’eau, d’heures de travail et d’autres ressources précieuses et souvent limitées », détaille Biljana Borzan. Les conséquences du gâchis alimentaire sont multiples et variées. « Les experts affirment que la réduction de 30 % des déchets alimentaires au niveau des consommateurs dans les pays développés pourrait permettre d’économiser environ 400 000 kilomètres carrés de terres cultivées d’ici 2030 ». L’Union européenne s’est emparée de cette question en tentant notamment de simplifier la distinction entre les dates de péremption. 

L’eurodéputée croate souligne ce problème en rappelant que « seulement la moitié des européens connaissent la différence entre  “ à consommer avant ”  et “ à consommer de préférence avant ”la date conseillée ». Il faut donc miser, dans un premier temps, sur les habitudes des européens. L’éducation et la sensibilisation au gaspillage alimentaire apparaissent comme essentielles. Biljana Borzan insiste sur ce point, elle rappelle que « le consommateur est un des premiers acteurs qui doit s’engager dans la lutte anti-gaspillage pour faire bouger les lignes ». 

La législation française en retard par rapport au reste de l’Europe ?

En France, le gaspillage alimentaire est encadré par la loi Garot. Depuis 2016, les supermarchés de plus de 400 m2 n’ont plus le droit de rendre impropres à la consommation des invendus encore consommables, et doivent pour cela nouer un partenariat avec une association d’aide alimentaire pour lui donner ses invendus alimentaires. En cas de refus, l’enseigne est passible d’une amende de 3.750 €. Avec la loi Garot et la loi EGalim promulguée en 2018 qui concerne davantage la restauration collective, l’Hexagone souhaite diviser par deux le gaspillage alimentaire d’ici 2025. 317 kilos de nourriture sont toujours jetés chaque seconde en France. 

Une amélioration du texte est à l’étude et la proposition de loi devrait être faite en février 2021. L’auteur Guillaume Garot – actuel député PS de la Mayenne et Graziella Melchior, députée LREM du Finistère souhaitent ajouter quatorze nouvelles mesures, dont la fin des dates de péremption sur les produits secs et non périssables (pâtes, riz, flocons d’avoine). « Il faut que l’on puisse allonger la liste des produits non périssables et ne plus indiquer de date sur ces mêmes produits. C’est primordial pour limiter le gaspillage », indique Guillaume Garot. Ils espèrent ainsi laisser seulement la date de fabrication sur l’article à l’instar du sucre ou bien du vinaigre. 

Guillaume Garot préconise également de remplacer la mention des DDM par « meilleur avant » pour inciter les Français à réfléchir à la qualité du produit avant de le jeter. « On estime que 35 % des produits avec une DDM sont jetés le jour ou avant le jour indiqué », ajoute le député. Le changement de comportement des consommateurs vis-à-vis des dates de péremption passe selon lui par une meilleure compréhension de ces dernières. L’éducation à l’alimentation dès le plus jeune âge serait alors une des clés du changement. Guillaume Garot souhaite vivement « prendre le virage de la responsabilité éducative et informative sur l’alimentation ». Pour lui, c’est donc à l’éducation nationale de se saisir du sujet et de le véhiculer dans les écoles et jusqu’à la fin du lycée. Il en va de même pour les grandes surfaces, qui ont elles aussi, un rôle clé dans la diffusion de ces informations. « Le secteur public ainsi que le secteur privé doivent être mobilisés dans la sensibilisation des consommateurs », assure le député. Pour lui le message doit être plus clair et mieux compris par les Français. « Manger des produits dont la DDM est périmée, n’entraîne aucun risque pour la santé et certains aliments avec une DLC non plus », rappelle le député de la Mayenne. 

Anne-Marie Desbiens, chimiste spécialisée dans l’alimentation, s’accorde complètement avec les dires du député français. Avec humour, dans son livre Mieux conserver ses aliments pour moins gaspiller aux Éditions La Presse, elle assure qu’« une fois la date “meilleure avant” dépassée, un pot de yaourt ne va pas exploser dans notre frigo. Ce dernier ne devient pas contaminé ou dangereux du jour au lendemain ». Au fur et à mesure du temps, la nourriture est certes prise d’assaut par des micro-organismes et des enzymes mais l’altération se fait dans le temps. Il y en a qui sont plus dangereux que d’autres. Néanmoins bon nombre d’entre eux peuvent se montrer bénéfiques pour le corps humain, ils aident notamment à une meilleure digestion. Les micro-organismes et enzymes sont capables aussi d’altérer le goût et l’aspect d’un produit. 

Concrètement, un yaourt, dont la date est dépassée, continue naturellement sa fermentation. Il sera moins fameux gustativement mais toujours comestible quelques jours voire semaines après sa péremption. Néanmoins, le consommer peut présenter des risques. Il faut alors faire confiance à son aspect visuel et odorant. Lorsque la date est dépassée, l’important est donc de sentir le produit et de le goûter avant de le consommer. Votre intuition définira si l’aliment est bon ou non. En France, étonnamment, il n’y a pas d’harmonisation nationale entre les DOM-TOM et l’Hexagone. En effet, un aliment produit le même jour, au sein de la même production, sera valable plus longtemps s’il est vendu en Point-à-Pitre plutôt qu’à Metz.

Quels produits pouvons-nous consommer après la date de péremption ?  © Charlotte Kaiser / Arthur Meuriot

Si en France, la législation interdit la grande distribution de vendre des produits dont la date de péremption est dépassée ce n’est pas le cas au Danemark. Le pays scandinave permet le commerce des produits périmés tant qu’ils ne présentent pas de risque immédiat pour la santé. Le pays a pris conscience du gaspillage il y a plus de dix ans et multiplie les actions pour le réduire. L’enseigne We Food propose ainsi des produits alimentaires issus des invendus de la grande distribution. Les danois utilisent également, depuis 2015, diverses applications telles que Too Good To Go. Certains restaurants du pays servent même des plats cuisinés avec des produits à la limite de la date de péremption. Selon le Conseil danois pour l’agriculture et les produits alimentaires (Landbrug og Fødevarer) dans un rapport de septembre 2015, cette politique a permis de faire chuter le gaspillage alimentaire national d’un quart. 

Le rôle du secteur privé dans la lutte “anti-gaspi”

Pour le secteur industriel, le règlement européen INCO de 2011 (règlement n°1169/2011 du 25 octobre 2011) oblige tous les États membres à apposer une date sur leurs produits alimentaires. Les dates de péremption sont fixées et déterminées en interne par les fabricants. À sa création et à chaque changement (ingrédients, packaging, procédé de fabrication,…) le produit subit une étude de durée de vie. Il est soumis à plusieurs tests, les scientifiques étudient son altération dans différentes conditions d’entreposage. La température et l’humidité de la pièce dans laquelle il est stocké, vont ainsi varier. Des analyses sont ensuite menées pour déterminer le mode et la date de conservation optimales. Les premiers lots mis en service sont eux aussi suivis, ils seront analysés pour avoir la confirmation que la date donnée est bien la bonne. Néanmoins, la date de péremption inscrite sur l’aliment peut être faussée. Par exemple, si la chaîne de froid a été rompue ou si le produit n’est pas entreposé dans un lieu comme indiqué sur l’emballage, la date n’est plus effective. 

Début 2020, la start-up Too good to go a lancé Le Pacte des Dates de consommation afin de « réduire le gaspillage alimentaire en améliorant la compréhension des dates ». Une cinquantaine d’acteurs de la filière alimentaire (industriels, distributeurs, organisations de consommateurs…) ont signé le texte soutenu par les Ministères de la Transition Écologique et de l’Agriculture et de l’Alimentation. Le Pacte comprend dix actions ambitieuses, concrètes et mesurables. Parmi elles, une campagne de communication nationale démarrée le 12 octobre 2020 pour sensibiliser les consommateurs sur la différence entre DLC et DDM et la mise en place de rayons « anti-gaspi » dans les supermarchés regroupant tous les produits à DDM proche. L’effort se concentre également sur la différenciation visuelle entre DLC et DDM. Après la Vache qui rit (Bel), les emballages des produits Mousline, Nestlé Dessert, Nesquik, Ricoré, Chocapic (Nestlé) et Nature & Découvertes ont changé pour inclure les pictogrammes qui ont pour objectif d’inciter les consommateurs à faire confiance à leurs sens pour observer, sentir, goûter le produit une fois la DDM dépassée, au lieu de le jeter directement.

Des magasins plus responsables espèrent également bousculer les habitudes des Français en les rendant plus responsables face au gaspillage. C’est le cas de Nous Anti-Gaspi. Depuis 2018, l’épicerie détonne dans le paysage de la distribution. Elle propose des produits ayant été écartés des circuits de distribution traditionnels. Et la recette plaît énormément. Le groupe compte déjà une dizaine de magasins et projette d’en ouvrir d’autres prochainement.  « Nous offrons aux produits  qui auraient dû être gaspillés un espace de vente propre et chaleureux. Diverses raisons font que ces derniers arrivent chez nous : date de péremption proche, œufs trop petits, fruits non calibrés… », résume Florence Chautard, responsable communication de Nous Anti-Gaspi.

Florence Chautard, responsable communication et l’équipe de Nous Anti-Gaspi (Paris 14e) composée de Vincent Bosset, le directeur, et Dimitry Lemoyne présentent les produits phares du magasin. © Quentin Vieira

La réduction du gaspillage alimentaire est une lutte commune. En étant la principale source de gâchis, les grandes surfaces ont un rôle important à prendre en termes de pédagogie. Comme chez Nous Anti-Gaspi, grâce à des affiches et des étiquettes, les clients sont de plus en plus rassurés au sujet des dates et notamment des DDM. Des messages à caractère humoristique et informatif qui les incitent à consommer ces produits sans danger sont de plus en plus nombreux. C’est un pas de plus dans l’éducation des citoyens sur cette problématique. Intermarché avait débuté, il y a plusieurs années,  une campagne visant à vendre des fruits et légumes « moches » en jouant sur une communication axée sur l’humour. L’enseigne Monoprix est aussi spécialisée dans ce domaine.  

Il reste encore beaucoup à faire en matière d’information et de législation. Toutefois, force est de constater que le sujet est pris en main par des femmes et des hommes politiques nationaux et européens. Une mise en avant de cette problématique est même désirée par certains. Dans sa proposition de loi de février 2021, le député Guillaume Garot aimerait ainsi que le gouvernement fasse de la lutte anti-gaspillage une « grande cause nationale ». Dans un même temps, il aimerait voir « le gouvernement faire l’expertise de ce que l’on peut faire au niveau national et le porter ensuite au niveau européen ». Bien qu’entamé, le chemin est long, la poubelle reste encore la fin de vie privilégiée de nos aliments.

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