Les blockchains se mettent au service de l’ESS

C’est en 2008 que le mystérieux Satoshi Nakamoto débarque avec la blockchain sur laquelle repose les Bitcoins. Encore aujourd’hui personne ne saurait dire s’il s’agit d’une personne seule ou de toute une équipe. Depuis son apparition, certains perçoivent cette technologie comme une rupture aussi importante qu’internet. Le nombre de projet se basant sur elle ne cesse d’augmenter. Alors comment peut-elle être utile à l’économie sociale et solidaire (ESS) ?

Le mot « blockchain » ne vous évoque peut-être pas grand-chose. Il s’agit pourtant du protocole principal à la base notamment des cryptomonnaies. Bitcoin, Ethéreum, et bien d’autres sont des monnaies uniquement virtuelles garantissant transparence et sécurité. Pour parvenir à tenir ces promesses, elles reposent sur une technologie presque inconnue des non-initiés : la blockchain.

Le bitcoin par exemple, première des cryptomonnaies, repose sur elle. La monnaie virtuelle a connu une hausse de 23% depuis le début du mois de janvier 2021. Une ascension loin d’être linéaire car le bitcoin fluctue dans ce début d’année entre 29.000 et 41.000 euros. Des chiffres mirobolants qui font rêver, pourtant il y a fort à parier que beaucoup ne comprennent pas comment fonctionnent ces monnaies.     

Une technologie révolutionnaire

« La révolution de la blockchain c’est de pouvoir faire circuler des unités numériques qui ont une valeur », explique Jean Paul Delahaye, chercheur au centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille. Actuellement, avec internet, lorsqu’on envoie un fichier à quelqu’un par le biais d’un mail par exemple, on lui transfert en réalité une copie de ce fichier. Il est donc impossible de transférer un bien de valeur car l’élément envoyé est duplicable à l’infini. Grâce aux blockchains il devient possible d’envoyer un élément sans qu’il soit dupliquer.

Cette technologie a beaucoup d’autres intérêts, mais pour les comprendre il faut déjà s’attarder sur son fonctionnement. Selon Blockchain France, « La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations. » La particularité c’est qu’elle est « transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. » En gros c’est une base de données, accessible à tous et sécurisée.

Blockchain France

« L’idée de base de la blockchain est de partager des informations entre deux utilisateurs qui ne se font pas confiance par le biais d’un réseau informatique », précise Jean Paul Delahaye. Jusqu’ici rien de trop différent d’internet. Jean Paul Delahaye ajoute, « l’une des particularités de cette technologie c’est que chaque utilisateur de la blockchain possède une copie des informations partagées dessus. »  De ce fait, il ne peut pas y avoir de falsification car « chaque utilisateur est aussi contrôleur. » La blockchain est donc un réseau informatique dans lequel chaque utilisateur à accès à toutes les informations partagées dessus. 

Enfin, les blockchains permettent de se passer du « tiers de confiance », précise Alexandre Stachtchenko, Co-fondateur & Directeur Général Blockchain Partner. Ce tiers est souvent une personne ou un organisme chargé de superviser les échanges. Dans le cadre d’un transfert de fond par exemple, la banque prend le rôle du « tiers de confiance. » Elle s’assure que l’argent soit débité d’un côté et crédité de l’autre.

Blockchain France

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités

« La blockchain est une technologie, elle n’est ni bonne ni mauvaise », prévient Denis Stokkink, économiste et expert à la commission européenne en matière d’économie sociale et solidaire. Selon lui, « c’est à nous, acteur de l’économie sociale et solidaire de l’utiliser au mieux. » Cette technologie permet de créer des opportunités sur le plan politique et économique. Mais malheureusement, et comme souvent avec les nouvelles technologies, elle peut être utilisée à mauvais escient.

Ses avantages sont à la fois ses plus gros inconvénients. « La blockchain peut être considérée comme l’incarnation de valeurs politiques et sociales, comme la transparence et la redistribution du pouvoir, mais aussi comme l’incarnation de valeurs ultralibérales, qui refusent tout contrôle, aussi démocratique soit-il », explique Marion Pignel dans une note d’analyse produite pour le think tank européen Pour la solidarité.

De surcroit, L’absence du « tiers de confiance » rend impossible les contrôles sur la nature des échanges entre les acteurs de la blockchain. Car s’il est possible d’en garder une trace, il est impossible de savoir pour qu’elle raison ils ont eu lieu. 

Et l’ESS dans tout ça ?

Mais alors comment la blockchain peut être utile à l’économie sociale et solidaire ? Elle peut déjà servir pour la collecte de fond. Alexandre Stachtchenko explique, « La blockchain est faite pour ça. » Dans son rapport d’analyse Marion Pignel précise « qu’il est possible de faire appel à une grande multitude d’internautes pour les financements, sans recours à un tiers. »

Effectivement, il y a beaucoup d’avantages à se financer avec des cryptomonnaies. Déjà car « elles sont mondiales par nature », explique Alexandre Stachtchenko. Il est donc plus facile de faire appelle à un grand nombre d’investisseurs. Il n’y a pas de frais quand les sommes sont trop importantes. Enfin, il est impossible d’empêcher un transfert de fond en cryptomonnaies puisqu’il n’est pas question de compte bancaire. 

Il est également possible de créer de nouveaux modes d’organisations grâce à la blockchain. Selon Alexandre Stachtchenko elle apporterait de « l’horizontalité. » Effectivement, cette technologie permet de garder en mémoire la contribution de chacun dans le cadre d’un projet commun. Ainsi, les participants au projet pourraient être rétribués à la hauteur de leur contribution.

Enfin, il est communément admis que la technologie blockchain est très énergivore, en particulier pour les cryptomonnaies. Pourtant, selon Alexandre Stachtchenko, « elle s’avère particulièrement utile pour la transition écologique car elle consomme essentiellement de l’énergie fatale. » C’est-à-dire de l’énergie qui est perdu pendant le processus de production.

Cette énergie fatale peut être un frein pour la construction d’infrastructures créatrices d’énergies renouvelables. Un barrage par exemple, produit de l’énergie la nuit, alors que personne ne s’en sert. Actuellement, il existe des solutions pour que cette énergie soit utilisée par l’industrie des cryptomonnaies.

Application concrète de la blockchain à l’ESS

Il est aisé d’énumérer la liste des possibilités qu’offre la blockchain en matière d’économie sociale et solidaire. Mais il est beaucoup plus intéressant de montrer des cas concrets d’applications de cette technologie à l’ESS.

Le cas du festival Ouishare est particulièrement intéressant. L’idée était d’utiliser la blockchain pour que les personnes qui contribuent au festival soient facilement mise en avant grâce à la traçabilité et la transparence qu’offre la technologie.

Malheureusement, la blockchain est encore mal intégrée et mal comprise. Dans le cadre de ce festival, il s’est avéré qu’elle était un frein plutôt qu’un accélérateur. Les participants n’osaient pas participer par peur de laisser une trace indélébile dans la blockchain.

Cette technologie est également utile pour la conservation et la certification de document. Prosoon ou BC Diplôma, ont mis au point une blockchain dont le seul but est de conserver les diplômes. Hugo Spiess, co-fondateur de Prosoon explique qu’aujourd’hui « toutes les preuves de compétences sont vulnérable et il est aisé de falsifier un diplôme. »

L’entreprise se charge de créer une copie numérique du diplôme et de l’inscrire sur une blockchain. Elle est ensuite mise à disposition des établissements scolaires, de l’étudiant et des entreprises. L’intérêt est selon le cocréateur de Prosoon est « d’avoir la garantie que l’étudiant a bien les compétences qu’il dit posséder. »

Grosse structures, ESS et blockchain

La blockchain n’est pas exclusive aux petites structures de l’économie sociale et solidaire. De grandes enseignes commencent à s’y intéresser et développent leur propre blockchain dans le cadre d’initiatives proches des valeurs de l’ESS. Carrefour et Auchan sont de bons exemples avec leur utilisation de la blockchain dans le cadre du traçage alimentaire. Les deux géants de l’agro-alimentaire ont mis au point une blockchain pour garantir la traçabilité de leurs produits. Le consommateur a à sa disposition plusieurs informations relatives aux produits. Carrefour cherche à étendre cette technologie à toute une gamme de leurs produits d’ici 2022.

Malheureusement il est difficile de savoir si cette démarche est tout à fait honnête. Pour Alexandre Stachtchenko, « les entreprises qui travaillent sur des blockchains dédiées à la traçabilité utilisent souvent des versions privées. » Ici, deux facteurs posent problèmes.

Le premier, le nombre de personnes qui interagissent avec. « Moins il y d’acteur, moins la blockchain est fiable. » Explique Jean Paul Delahaye. La seconde implique les informations que les entreprises sont prêtes à partager avec leurs collaborateurs. Car tous les membres de la blockchain ont accès aux informations partagées dessus. Certains vont donc essayer de partager le moins de choses possible. « A la fin il y a tellement de contraintes que cela ne ressemble plus à une blockchain », ironise A. Stachtchenko.

A dans 10 ans

Vous l’aurez compris, à l’heure actuelle, le bilan de la blockchain est assez mitigé. Même si les exemples actuels d’applications de la blockchain pour des projets proches de l’ESS ne manquent pas. Il faut admettre que cette technologie n’apporte que des améliorations mineures dans les domaines où elle est mise en place.

Le seul domaine vraiment impacté par les blockchains est le milieu de la finance, avec les cryptomonnaies. Alexandre Stachtchenko conclut « je pense que demain la blockchain sera une technologie dont tous le monde se servira, mais comme internet, personne ne saura comment elle fonctionne. »

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