Qu’ils soient dyslexiques, dyspraxiques ou encore dysorthographiques, 10 % des Français seraient touchés par des troubles dys. Pourtant répandus et reconnus comme handicap, ces troubles des apprentissages sont encore peu pris en compte. Mais depuis plusieurs années, des solutions numériques, véritables outils d’inclusion, émergent.
Les dys ? C’est le mot qui vous a sûrement interpellé dans le titre de cet article. Pourtant, les dys, c’est à dire des personnes touchées par des troubles cognitifs spécifiques, sont nombreux en France, près de sept millions.
Ils ont des problèmes de lecture, de calcul ou encore de motricité, autant de facteurs. Cela entravent leur intégration sociale, scolaire ou professionnelle. Mais les évolutions numériques récentes leur ont permis de pallier leurs difficultés. D’après une enquête du CREDOC, réalisée en 2019, 95 % des Français possèdent un téléphone portable, contre 4 % en 1997. 76 % possèdent un ordinateur, contre 19 % en 1997. Une montée en puissance de l’informatique qui aurait pu se transformer en obstacle pour eux, mais qui est, finalement, devenue une chance.
Une chance, que l’on doit à des professionnels qui œuvrent pour rendre internet toujours plus accessible aux dys. Applications, ateliers ou formations, un bon nombre de solutions d’insertion ont vu le jour ces dernières années. Pour les enfants dys, comme les adultes, lorsque l’informatique est bien adaptée à leurs besoins, elle devient souvent un allié précieux. Récit d’une inclusion positive pour un numérique plus solidaire.
Les dys : des troubles des apprentissages
Yoann, diagnostiqué dyslexique à 14 ans : « C’est là qu’a débuté mon combat. »
Yoann, 28 ans, habite à Paris et a été reconnu dyslexique à 14 ans. « Plus jeune, il y avait déjà des signes. Mais j’ai été diagnostiqué en classe de 4e seulement, c’est assez tard. C’est là qu’a débuté mon combat. » Dès lors, le jeune homme se fait accompagner par un orthophoniste pendant une dizaine d’années. « Ça m’a énormément aidé. On travaillait sur la rééducation de mes troubles. » Mais rien n’y fait, la dyslexie reste une épine tenace dans le pied de Yoann.
Durant son parcours scolaire, il rencontre de grandes difficultés en français, notamment pour lire, exprimer ses idées, disserter ou écrire correctement à la main. « Le premier livre que j’ai lu c’était Harry Potter et ça a été une catastrophe. Il a fallu que je demande à ma mère de m’aider. C’était tellement écrit petit, collé… Du coup, plus jeune, je n’avais pas envie de lire. » Mais Yoann s’accroche et passe un Bac Pro étude du secrétariat puis un BTS assistant de gestion. « Dans les études supérieures j’ai pu utiliser un ordinateur. C’était un soulagement, j’étais plus réactif, plus organisé, plus libre. » Il décide finalement de se réorienter vers un domaine qui le passionne davantage : l’informatique. Il cherche aujourd’hui une formation dans le développement web afin de travailler, à terme, dans l’accessibilité numérique.
Mais être un adulte dyslexique n’est pas évident tous les jours. « J’ai beaucoup de fatigue mentale. J’ai aussi des douleurs à la main quand j’écris. Si je travaille sur un support qui n’est pas adapté, comme un livre, c’est un calvaire. Ça me prend énormément de temps. » Heureusement, Yoann a trouvé réconfort auprès des nouvelles technologies. « J’utilise au quotidien un éditeur de texte et la police Open-Dyslexic. Grâce à ces aides, je comprends plus facilement, j’ai moins de fatigue visuelle et même du plaisir à lire. Le numérique, bien adapté à mes besoins, m’a changé la vie. » Grâce à ces innovations, il dit « prendre sa revanche » en rattrapant « son retard accumulé depuis l’enfance. »
Yoann est plus à l’aise certes, mais il le reconnaît : la dyslexie reste encore un obstacle au recrutement. Quand il cherchait une place en entreprise pour sa formation, il a essuyé des refus, les postes n’étant pas adaptables à son handicap. « La mentalité en France doit changer. Je pense qu’il y a un début d’amélioration, car un gros travail a été fait sur les livres et sur les sites, mais tout ça n’est pas à la hauteur du problème. Il faut qu’il y ait davantage d’actions pour les dys, plus d’intégration. Il faut qu’on comprenne qu’on est là et qu’on a des besoins. »
« Tant qu’on ne comprendra pas que c’est un vrai handicap, on n’y arrivera pas »
Laetitia Branciard est vice-présidente de la Fédération Française des Dys (FFDys) et présidente de la commission « accessibilité exception handicap » au ministère de la Culture. D’après elle, la France est en retard sur la question du dépistage et de l’intégration des dys : « On a mis très longtemps à avoir une prise de conscience au sujet des troubles cognitifs. Beaucoup de personnes ne sont pas diagnostiquées, notamment les générations de plus de 30 ans. » En 2002, le ministère de l’Éducation s’est attaqué au problème et a mis en place le plan langage, un dispositif national pour comprendre, dépister et accompagner ces troubles à l’école. « L’intérêt pour les dys est assez récent. Les pays européens qui nous entourent l’ont fait il y a 25 voir 30 ans. »
Il aura fallu attendre 2005 pour que la loi reconnaisse officiellement les troubles cognitifs spécifiques comme un handicap. « Malgré ces avancées, beaucoup de familles ont encore de grandes difficultés à obtenir une prise en charge. Les procédures d’accompagnement ou de reconnaissance du handicap sont assez longues, et les diagnostics, qui restent à leur charge, peuvent être onéreux. » La présidente de la FFDys constate plus largement une méconnaissance des troubles dys, qu’elle attribue majoritairement à l’invisibilité de ce handicap. « Il y a des incompréhensions car les comportements sont discordants. Par exemple, une personne dyslexique peut avoir un langage oral très développé, mais être totalement déficitaire à l’écrit. Cela perturbe les enseignants. S’ils ne sont pas formés à ces troubles, ils peuvent mal l’interpréter, penser que l’enfant se bute, qu’il est de mauvaise foi. » Une attitude qui a longtemps dominé dans le pays, mais que la professionnelle voit doucement s’améliorer.
Le plus gros travail reste donc celui de la sensibilisation. Pour Yoann, principal concerné, c’est une priorité : « En France, il y a encore de mauvais réflexes. Tant qu’on pensera que c’est en forçant sur des exercices, en mettant la pression aux dys qu’on va résoudre le problème on n’y arrivera pas. Tant qu’on banalisera, qu’on ne comprendra pas que c’est un vrai handicap, on n’y arrivera pas. C’est l’environnement qui doit changer, pas l’inverse. »
Le combat des parents d’enfants dys
Comme l’a rappelé Laeticia Branciard, le numérique est un véritable vecteur d’inclusion pour les personnes touchées par des troubles dys. Le système éducatif prévoit des dispositifs d’accompagnement, qui incluent des outils informatiques spécialisés, mais les procédures pour les obtenir sont souvent victimes de lenteur administrative. Virginie, qui a initié ces démarches pour son fils Louis, en a fait l’expérience.
Louis a été diagnostiqué dyslexique et dysorthographique en CM1 : « C’était un diagnostic tardif pour Louis car il a commencé sa scolarité dans une école anglaise, en Angleterre. C’est seulement à notre retour en France que j’ai insisté pour faire un bilan auprès d’un orthophoniste », explique sa mère Virginie. Aujourd’hui en classe de 4e, ces démarches ont permis de mettre en place un plan d’accompagnement personnalisé (PAP). Ce dispositif est proposé par l’Éducation nationale et prévoit des aménagements nécessaires pour l’enfant : « L’enseignement et les critères de notation sont adaptés. Par exemple, l’orthographe de Louis n’est jamais pénalisée par les professeurs. »
S’il permet à Louis de ne pas être pénalisé sur la manifestation de ses troubles, le PAP n’est pas suffisant et Virginie a initié des démarches pour que son fils puisse disposer d’un ordinateur et de logiciels spécifiques. Ce matériel, onéreux, peut être mis à disposition de l’enfant gratuitement par l’Éducation nationale : « Il faut faire une demande à la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) pour avoir une reconnaissance du handicap. Louis a dû réaliser un bilan auprès d’un ergothérapeute qui n’est pas remboursé par la Sécurité sociale. Sans ce bilan, je ne peux pas pousser pour une demande d’ordinateur. »
Virginie et Louis attendent désormais une réponse de l’éducation nationale : « Louis est travailleur, il compense beaucoup, c’est un dys avec de bons résultats scolaires. Son dossier en MDPH risque d’être refusé à cause de cela. » Si l’Éducation nationale ne fournit pas à Louis un ordinateur équipé des logiciels, Virginie le fera à sa charge. Actuellement, l’adaptation de Louis se passe bien mais elle anticipe : « Il a encore de nombreuses d’années d’études devant lui. Je ne veux pas qu’il les subisse, je veux qu’il puisse choisir ses études. On pense à l’avenir tandis que la MDPH travaille avec une vision court-termiste. »
Des logiciels d’adaptation, pour plus d’intégration
Pour rendre le numérique plus accessible, plusieurs logiciels d’adaptation de texte, spécialement destinés aux personnes dys, se sont développés ces dernières années. Parmi ces innovations, Dys-vocal est particulièrement utilisé dans le milieu éducatif. Son créateur, Patrice Dosset, est père d’un enfant handicapé atteint de dys. « Il y a dix ans, je ne trouvais pas ce que je voulais pour aider mon enfant. J’ai donc développé mon propre logiciel, que j’ai amélioré au fil des années. »
Dys-vocal est un éditeur qui permet d’adapter tout type de document ou de texte en ligne, aux problèmes de lecture des personnes dys. « L’éditeur propose des adaptations visuelles comme la segmentation syllabique ; l’ajout d’interligne et d’espaces ; l’utilisation d’une police spécifique ; ou l’imprégnation syllabique, pour colorer différentes syllabes dans un mot. » Cette cartographie visuelle mâche le travail de l’enfant dys et lui évite de se perdre. « Beaucoup d’adaptations sont possibles selon les besoins. Il suffit ensuite d’enregistrer un profil, avec des paramètres définis sur-mesure. »
L’application est dotée d’une lecture vocale, grâce à laquelle une voix de synthèse retranscrit un texte. Une reconnaissance vocale est également disponible, qui permet de dicter un texte à l’oral, facilitant la prise de notes. Recommandé par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), Dys-vocal est intégré d’office à plusieurs ordinateurs dédiés aux personnes dys. Il peut aussi être téléchargé directement sur le site dyslogiciel.fr, moyennant la somme de 30 euros.
Accompagner les salariés, sensibiliser les entreprises
Des professionnels du secteur œuvrent également pour favoriser l’intégration des personnes dys. C’est le cas de l’entreprise Digital Inclusif, qui propose d’accompagner les salariés touchés par ces troubles et de sensibiliser les entreprises à leurs besoins. Guidé par son fondateur, Lucas Akli-Pasquet, lui-même dyslexique, l’entreprise organise des sessions de prise en main d’outils numériques spécialisés. « Nous travaillons avec les salariés atteints de dys pour évaluer leurs besoins et leur présenter des logiciels sur-mesure », explique le fondateur. « Grâce à notre expérience, nous leur apprenons à utiliser au mieux ces nouvelles technologies. »
Pour la sensibilisation, Digital Inclusif agit directement en entreprise via des ateliers (en présentiel, dans plusieurs villes en France, ou à distance). « On essaye de mettre en place les bonnes pratiques, la bonne mentalité. Le tout est d’intégrer de façon non stigmatisante les personnes dys .»
En tant que start-up sociale, Digital Inclusif apporte aussi son soutien aux écoliers et aux étudiants grâce à des sessions d’accompagnement. « Notre ambition est de rendre l’ensemble des environnements de travail inclusif, pour que les personnes dys gagnent en qualité de vie. » L’entreprise a aidé, depuis sa création en 2016, une centaine de salariés et une cinquantaine de familles.
Stimuler les enfants dys grâce à des ateliers ludo-éducatifs
Pour aider les enfants DYS et leur permettre d’évoluer au mieux, CrocosGoDigital a développé des ateliers ludo-éducatifs comme thérapie digitale. André Oucharif, business developper de l’entreprise explique : « L’objectif de ces formations, qui mixent les nouvelles technologies et les neurosciences, est de permettre au plus grand nombre de compenser leurs troubles. L’idée est de stimuler les fonctions cognitives grâce à l’apprentissage de la programmation, l’électronique, la vidéo… »
Ces séances sont composées d’une succession de phases d’apprentissage et de mise en pratique via des objets comme les tablettes, les robots ou les drones. Cette interaction avec le numérique permet aux enfants DYS de travailler leur attention, leur logique et leur confiance en soi. Les participants sont analysés pendant chaque atelier, afin de comprendre et réduire leur trouble cognitif.
« Le nerf de la guerre c’est de détecter le dysfonctionnement cognitif le plus tôt possible pour éviter une souffrance de l’enfant, précise André Oucharif. Plus nous allons le repérer tôt et le travailler, moins l’impact sera important sur la vie de l’enfant. » L’équipe de chercheurs de CrocosGoDigital travaille donc sur un outil qui sera capable d’identifier un enfant atteint de troubles DYS en effectuant un test d’une heure seulement, contre 15 mois en moyenne. La start-up propose des ateliers dans les écoles, les centres aérés, chez les professionnels de santé, dans ses propres locaux ou à distance. Fondée il y a deux ans et demi, l’entreprise a déjà aidé 5 000 enfants.
Une école adaptée, pour former les dys aux métiers du numérique
Des écoles peuvent aider les personnes atteintes de troubles cognitifs à exploiter leurs capacités numériques et s’insérer dans le monde du travail. C’est le cas d’Handigital, qui regroupe trois pôles de formation situés à Grenoble, Lyon et Chambéry. « Nous accueillons des profils très variés et atypiques, atteints de différents handicaps, dont les troubles dys », rapporte Karine Meyer, responsable de développement chez Handigital.
Pendant neuf mois, encadrés par des professeurs et professionnels formés aux différents handicaps, les apprenants vont suivre un cursus préparatoire aux métiers du numérique. Plus spécifiquement, au travail de développeur web et/ou d’applications mobiles. « Nous misons sur le tout numérique car c’est un levier puissant d’insertion professionnelle », explique la responsable.
Au travers de cette formation totalement adaptée, l’école permet d’obtenir une certification et un accompagnement professionnel. « Nous mettons en place des temps d’immersion en entreprise permettant au public en situation de handicap d’intégrer, par étapes, le milieu ordinaire du travail », détaille Karine Meyer. Si tout se passe bien, à l’issue de la formation les étudiants bénéficient d’une contractualisation dans une entreprise partenaire. « L’accès à l’emploi est la clef, c’est notre objectif principal. Toute la formation est pensée pour répondre aux réalités du milieu professionnel. » Handigital accompagne ses apprenants jusqu’à six mois après la fin de leur enseignement. Grâce aux partenaires publics et privés de l’école, cette formation est totalement gratuite.
La Journée Nationale des DYS
Institutions, associations, parents d’élèves ou entreprises, de nombreux acteurs s’attèlent à la (re)connaissance de ce handicap. Les troubles dys ne disparaissent pas avec l’âge, mais il est possible de mettre en place des solutions pour en atténuer les effets, et ainsi, apprendre à vivre avec. Grâce aux innovations numériques, aux ateliers de développement et à certaines formations, la situation des dys en France évolue. Mais, comme l’explique la FFDys, une prise de conscience politique, éducative et collective est nécessaire.
Un important travail de sensibilisation reste à faire, et c’est d’ailleurs dans cette optique que la FFDys a créé, en 2007, la Journée Nationale des DYS. Elle a lieu tous les 10 octobre (10/10). L’objectif ? Mobiliser, interpeller et informer, le grand public comme les professionnels, sur ces troubles. L’enjeu de ces prochaines années sera d’introduire la problématique des dys au cœur du débat public.