Pollution sonore : le volume monte à Paris

Augmentation du trafic à 18h Rue St Lazare (Crédit : Quentin Vieira)

Paris devient une ville de plus en plus bruyante. Les plaintes pour nuisances sonores ont bondi ces dernières années. Le trafic routier mais aussi les activités festives sont les principaux vecteurs de ce brouhaha ambiant. En plus d’une réelle gêne auditive, le bruit a des impacts notables sur la santé de milliers de parisiens.

Pendant le confinement, Paris n’a jamais été aussi calme. Le trafic s’était interrompu, les rassemblements de personnes n’étaient plus autorisés, les lieux festifs avaient fermé leurs portes. Une situation en contraste avec l’ambiance sonore de la capitale en temps normal. En effet, de nombreux parisiens doivent vivre, au quotidien, avec ces nuisances de jour comme de nuit. 

Lors de la journée, le bruit des transports est omniprésent. Néanmoins, l’exposition à ce bruit diffère en fonction de nos lieux d’habitation. Il n’est pas le même dans le centre de Paris ou aux abords du périphérique. Du long de ces trente-cinq kilomètres, le périphérique se caractérise par un bruit continue. Chaque jour, 270 000 automobilistes empruntent cet axe routier ce qui se traduit par un trafic considérable. Une étude de Bruitparif, l’observatoire du bruit en Ile-de-France, publiée en 2009, indique qu’en journée, le « périph’ » produit entre 75 et 79 décibels (dB) contre 68 pendant la nuit. A noter que le bruit devient nocif pour la santé à partir de 70 dB. Dès 5 heures du matin, le périphérique s’engorge et conduit à une augmentation importante du niveau sonore. Cette perturbation mine le quotidien de milliers de riverains habitant proche de telles infrastructures. 

Le bruit devient nocif pour la santé à partir de 70 dB (Crédit : Arthur Meuriot)

Dans le centre de Paris, les mêmes types de bruit sont également enregistrés aux abords des principales voies de circulation. On compte alors plus de 70 décibels pour la rue de Rivoli ou encore le boulevard Poissonnière. Le bruit dépasse même les 75 décibels sur les quais de Seine. Contrairement au périphérique, les habitations donnent directement sur la rue et aucune barrière acoustique ne peut être installée au coeur de la capitale.

Pour les plus petites rues, souvent à sens unique, les nuisances sonores oscillent entre 60 et 70 décibels. De plus, l’effet d’écho a un impact négatif dans ce genre de situation. Il faut aussi rajouter à ce constat, le fait que les deux roues, présents en masse dans la capitale, sont beaucoup plus bruyants qu’une voiture. Une moto peut atteindre facilement les 90 décibels lors de son passage. Pour comparatif, un coup de klaxon équivaut lui aussi à 90 décibels. Les embouteillages seraient alors la source principale du bruit à Paris.

Le trafic s’intensifie sur le périphérique parisien au niveau de la porte Dauphine. (Crédit : Quentin Vieira)

En réalité, la mesure des plus hautes fréquences de décibels, liées au trafic, montre qu’elles ont lieu entre 6 heures et 7 heures du matin. Le bruit dépend plus de la vitesse des véhicules que de leur nombre.  Plus tôt dans la matinée, le trafic est moins dense et les automobilistes circulent plus vite. On relève donc des records de décibels contrairement au reste de la journée. De plus, c’est à ces mêmes heures que le ballet des livreurs bat son plein à Paris. Des véhicules plus lourds qui circulent plus rapidement, au grand désespoir des habitants. 

Les automobilistes, uniques coupables ?

Néanmoins, le trafic routier, n’est qu’une cause, parmi d’autres, des nuisances sonores que rencontrent Paris et beaucoup d’autres grandes villes. L’activité festive produit, elle aussi, une grosse quantité de bruit. On considère qu’une soirée, organisée dans un appartement voisin ou dans un bar, peut être à l’origine de plus de 90 décibels et peut même atteindre les 100 décibels. Ces chiffres sont bien au dessus de ceux du trafic routier. De plus, cette nuisance se distingue par son caractère nocturne, moment où, la plupart des gens tentent de s’endormir. Les effets nocifs de l’activité festive sur le sommeil des parisiens sont inévitables. 

Dans les immeubles parisiens, souvent anciens, l’isolation phonique est quasi-inexistante, le bruit se propage donc plus facilement. Certains quartiers souffrent d’autant plus de ce phénomène lorsque les beaux jours reviennent. Les abords du canal Saint-Martin, par exemple, connaissent de nombreux rassemblements de personnes lorsque les températures augmentent. Il n’est donc pas étonnant de constater que le XIe arrondissement de Paris est celui qui connaît le plus de demandes de sanctions pour cause de tapage nocturne. En 2017, cet arrondissement a connu trente-trois sanctions pour tapage nocturne contre seulement une seule pour le XVe arrondissement. En effet, ce dernier est plus un lieu résidentiel que festif. Rappelons qu’une amende pour tapage nocturne est comprise entre 45€ et 180€.

Paris est également connu pour ses nombreux chantiers. Beaucoup d’habitants considèrent d’ailleurs, ne jamais avoir connu la ville sans travaux. Le bruit moyen que produit les travaux en extérieur équivaut à environ 80 décibels. Toutefois, un marteau-piqueur, lors de son utilisation, peut atteindre facilement les 120 décibels. Cet outil est souvent pris comme un comparatif sonore étant donné sa puissance. Mais contrairement au trafic, les chantiers sont réalisés sur une période limitée et ne produisent pas un bruit continu. De plus, la régulation sonore de ce genre d’activité est encadrée.

Les chantiers sont réglementés au sein du Code de la Santé Publique. Les entreprises qui conduisent les travaux ont le devoir de limiter au maximum le bruit. Des conditions sont fixées avant chaque exploitation, au moment de la délivrance du permis de construire. Le bruit résultant d’un chantier peut donner lieu à une infraction avec une amende allant jusqu’à 1500€. 

(Crédit : Arthur Meuriot)

La mesure du bruit est française

Depuis 2016, il y a des « méduses » dans la capitale, pas seulement dans les aquariums. Certaines « méduses » sont capables de « voir » le bruit et de déterminer son origine. Ce drôle d’outil a été développé dans les locaux parisiens de Bruitparif et est surnommé ainsi de part sa forme. Innovant et « unique au monde », le dispositif a été récompensé par un « Décibel d’Or » attribué par le Conseil national du bruit en 2019.

La méduse, capable de «voir» le bruit      (Crédit : Quentin Vieira)

L’appareil est doté de quatre microphones et d’un capteur optique. Ce capteur « permet de faire des captations d’images qui forment une bulle à 360° » , explique Matthieu Sinau, spécialiste de l’étude du son et des vibrations sonores à BruitParif. Les microphones sont capables quant à eux d’identifier, plusieurs fois par seconde, le bruit dominant. Ces « niveaux localisés » sont ensuite projetés sur la visualisation à 360°. Des petites taches de couleurs apparaissent ainsi sur l’image où le son est émis. Il devient alors possible de « visualiser d’où vient le bruit et de le suivre », poursuit l’acousticien.

Habituellement, les nuisances sonores sont mesurées grâce à un sonomètre. Cet outil, bien qu’efficace, est incapable de « définir l’origine du bruit », analyse Matthieu Sineau. Surtout dans les zones urbaines où les sources sont multiples. La « méduse » en est capable. L’information cruciale apportée par l’outil a complètement révolutionné la mesure du bruit.

Comprendre d’où vient le bruit permet de l’isoler et de l’objectiver. Cette identification poussée et fiable de la « méduse » offre donc la possibilité de réguler au mieux les nuisances sonores. Plus de soixante appareils sont actuellement déployés à Paris. Ils sont notamment utilisés sur les chantiers « pour mieux savoir d’où viennent les nuisances », commente le membre de l’observatoire du bruit. Ils sont également utilisés dans les quartiers animés de Paris. « Le capteur permet d’avoir une connaissance détaillée d’un environnement sonore afin de faire un diagnostic précis », conclut Matthieu Sineau. Les méduses pourraient être utilisées, à court terme, en tant que radars acoustiques comme la loi d’orientation sur les mobilités (LOM) le prévoit. Afin de parachever les cartes de bruit, les prises de mesures sont couplées avec des enquêtes de terrain et des modélisations. Grâce au recueil des plaintes des riverains, les outils sont placés au plus près de la source.

Le bruit a un effet direct sur la santé et le bien-être de l’être humain. D’après un nouveau rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publié en 2018, « il est l’objet de préoccupations croissantes.» En s’appuyant sur des études scientifiques, l’institution a donc défini des seuils limites d’exposition. Dans la plupart des cas, les nouvelles valeurs adoptées sont plus exigeantes que les recommandations datant de 1999 et 2009. 

Pour définir ces nouvelles valeurs, l’OMS a identifié trois catégories de bruits néfastes provenant du trafic ferroviaire, du trafic aérien et du trafic routier. Les niveaux sonores produits par les voitures ne doivent pas dépasser 45 dB de 22h à 6h. Au delà de ce seuil, les effets néfastes sur la santé sont importants. Certaines zones parisiennes ne respectent pas ces limites. Aux abords du périphérique notamment, les décibels mesurés dépassent largement la limite préconisée. Le « périph » est incroyablement bruyant la journée comme la nuit. Paris fait office de mauvais élève. La capitale est la deuxième ville d’Europe la plus bruyante après Barcelone.

Recommandations de l’OMS par types de bruit (source : OMS, octobre 2018)
Lden : Level day evening night – Ln : Level night

Les troubles liés à une exposition répétée sont divers et ne concernent pas seulement l’audition. Le bruit provoque une gêne variable et perturbe essentiellement le sommeil : retard à l’endormissement, hausse du nombre et de la durée des éveils… Ces désagréments nocturnes notables chahutent notre concentration au quotidien. Le cumul de ces deux principaux effets sanitaires diminue potentiellement la période de vie en bonne santé d’un individu exposé au bruit des transports. Par exemple, un homme moyen exposé toute sa vie à des niveaux de bruits routiers, nocturnes proche de 62dB(A) et journaliers proche de 68dB(A), perdrait en moyenne douze mois de vie en bonne santé selon l’OMS.

En plus de ces limites concernant les transports, l’OMS recommande également des limites d’exposition aux bruits des éoliennes et aux bruits liés aux loisirs. Pas plus de 45dB(A) pour les éoliennes. Concernant le bruit lié aux loisirs (concerts en plein air, salles de sport), elle préconise de limiter les expositions à une moyenne annuelle de 70 dB(A). Les études scientifiques concernant ces nuisances sont encore faibles. La plus haute institution sanitaire se veut préventive. 

Cette réévaluation formulée par l’OMS marque une avancée notable dans la lutte contre le bruit. Une aubaine pour les associations et pour les riverains exposés qui attendent une prise de conscience des autorités. La Mairie de Paris a d’ores et déjà mis en place un plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) en étroite collaboration avec Bruitparif notamment. Mais la route semble encore longue.

Comment réduire le volume ? 

Habitation rue de Montmartre (Crédit : Quentin Vieira)

Pour se prémunir contre la pollution sonore, ils existent plusieurs solutions. Il faut d’abord prendre en compte le contexte d’exposition à la pollution sonore pour choisir la bonne manière de s’en prémunir. À son domicile, une personne peut décider de mettre en place tout une batterie de solutions pour régler les problèmes de nuisance sonore. Isolation phonique ou fenêtre à double vitrage sont des exemples. Le principal inconvénient de ces mesures concerne leur prix, souvent onéreux.

Lorsqu’il sort de chez lui, un résident d’une grande ville est souvent exposé à d’importants niveaux de pollution sonore. Le recours à des solutions de protection auditive personnelles est ce qui est «de plus simple et de plus abordable actuellement », explique Nicolas Misdariis, responsable d’équipe en perception et design sonores à l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM). Casques réducteurs de bruit ou bouchons intra-auriculaires sont donc de rigueur si l’on veut se protéger du bruit efficacement. Mais Nicolas met en garde «s’isoler du bruit, c’est aussi se mettre dans une bulle et ne pas avoir les mêmes informations que si nous étions sans notre casque, cela amène d’autres dangers ». Le message est clair, il faut rester très vigilant dans la rue avec ce type de dispositif sur les oreilles. 

Ces solutions restent limitées, le plus efficace pour éviter cette pollution est d’agir directement à la source du bruit. «Remplacement des flottes d’appareils pour les avions, renouvellement des appareils roulants pour les trains, et pour les bruits routiers sont des pistes. Nous testons beaucoup de solutions de revêtement de chaussée […] Nous avons également un renouvellement du parc de véhicules”. Ce sont les moyens avancés par Matthieu Sineau – chef de projet bruit des transports chez Bruitparif, pour limiter la pollution sonore.

Les locaux de l’IRCAM. (Crédit : Quentin Vieira)

La baisse drastique du trafic routier permet, elle aussi, la limitation du bruit. Pendant le confinement, les capteurs de Bruitparif ont relevé une forte baisse des émissions sonores. La carte comparative avant/après est saisissante. On compte en général entre 5 et 10 décibels de moins le long des axes routiers. Enfin, le bruit issu des chantiers et des lieux de convivialité a totalement disparu, du fait de l’arrêt total de ces activités. Un répit à durée limitée pour les franciliens. 

(Crédit : BruitParif)

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