Éducation populaire, premier relais de l’ESS ?

Les associations d’éducation populaire transmettent quotidiennement les valeurs de l’économie sociale et solidaire. Vie citoyenne, gouvernance démocratique, égalité hommes femmes et circuit vertueux de productions définies, sont autant de principes enseignés aux enfants et adolescents, citoyens de demain. L’Etat encourage ses initiatives, dans le même temps, il limite les moyens.

Le rôle des associations d’éducation populaire est de donner un accès et de transmettre des savoirs pour tous. Elles sont organisées en fédération afin d’être présentes sur l’ensemble du territoire. La Fédération national des Francas, créée en 1944, compte 80 associations départementales et 80 000 bénévoles mobilisés pour l’émancipation sociale des enfants et des jeunes. Pour Irène Pequerul, sa déléguée générale, un mouvement d’éducation populaire c’est avant tout « une fabrique d’innovation ». Son rôle est principalement celui « de réfléchir et de coproduire avec ses bénéficiaires des outils et des savoirs pour mieux comprendre le monde, répondre aux défis de société et améliorer le bien-être des citoyens ».

Depuis la loi de juillet 2014, donnant un cadre légal et juridique à l’économie sociale et solidaire (ESS), Audrey Baudeau, déléguée générale du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep), considère qu’un consensus s’est fait : « l’ensemble des acteurs de l’ESS et les mouvements d’éducation populaire ont considéré à ce moment-là que l’éducation est un levier indispensable pour pouvoir transformer et permettre de reposer l’humain au cœur des projets ». A partir de ce constat, la coordination nationale Cnajep a décidé d’inscrire clairement, dans sa motion d’orientation 2018-2022, cette reconnaissance de l’ESS. Dès lors, la démarche des 70 associations qui composent la Cnajep procède de trois dimensions dont l’une d’elles « pose comme précepte que toute activité doit être précédée d’un projet social et durable ».

Autre fédération, l’Économie Sociale Partenaire de l’École de la République (L’ESPER), symbolise aussi le lien entre associations d’éducation populaire et champs de l’ESS. L’ESPER compte 45 membres dont plus de la moitié sont des associations d’éducation populaire. À sa création, explique Thibault Sauvageot son délégué national : « l’ESPER a fait très vite le constat que l’économie sociale et solidaire et les valeurs de la République étaient intrinsèquement liées. Quand on parle de liberté, d’égalité, de fraternité de laïcité, on parle de démocratie, de coopération, d’échange et de partage entre les personnes, on parle ESS ».  Puisque les jeunes sont la future génération active, les acteurs de l’ESS et les associations d’éducation populaire se concentrent sur eux pour transmettre une autre vision du marché économique, de son fonctionnement et de ses objectifs.

Pour s’adresser à ces citoyens de demain et porter à leur connaissance une troisième voie possible, entre l’économie du marché public et celle du tout privé, l’ESPER développe des mallettes pédagogiques à destination des écoles et collège de la République. Leurs contenus « montrent que d’un point de vue très factuel l’ESS peut faire rêver : environ 750 000 emplois sont à renouveler d’ici 2025 », insiste Thibault Sauvageot, avant de poursuivre « il y a aussi l’enjeu de donner du sens à ces métiers en expliquant, aux enfants ou adolescents qu’ils répondent d’une utilité sociale ». En résumé : « L’ambition des associations d’éducation populaire c’est de montrer que l’ESS c’est sexy ! »

Certaines associations d’éducation populaire revendiquent de fait, leur participation à la diffusion du modèle de l’économie sociale et solidaire. Elles montent des actions concrètes, soutenues par le Conseil national des Chambres Régionales de l’Économie Sociale (CNRSS) et les chambres régionales de l’Économie Sociale et Solidaire (CRESS). 

L’ESS pratiquée par les citoyens de demain

C’est sur le terrain de l’apprentissage que se noue la rencontre entre ESS et éducation populaire. L’association Jeunesse au Plein Air, permet chaque année à 25 000 enfants et adolescents de partir en vacances et de bénéficier de loisirs périscolaires. Pour son président Jacques Durand, toutes les activités organisées doivent avoir une portée socio-éducative et transmettre aux enfants l’apprentissage de la vie en commun. Les séjours de vacances tels que les « mini-camp » proposés ont pour vocation spécifiques de former les citoyens de demain. Les activités organisées durant ces expériences doivent apprendre aux enfants à mettre en pratique les valeurs qui constituent le socle commun des associations d’éducation populaire.

« Toutes les organisations qui se réclament de l’éducation populaire sont unies par un idéal militant, elles portent chacune les valeurs communes de solidarité, de laïcité, de citoyenneté, de démocratie. Elles sont animées par un idéal d’émancipation humaine, tant individuelle que collective. En un mot, elles sont profondément républicaines », précise Jacques Durant. La mise en pratique de ces valeurs passe par exemple, par le partage des tâches ménagères dans l’organisation de ces mini-camps. « Un premier moyen de lutter contre les préjugés d’inégalités entre les hommes et les femmes », explique le président de l’association Jeunesse au Plein Air. 

La fédération des Francas développe pour sa part des projets locaux. Son but est de présenter un projet de société dans lequel les enfants et les adolescents ont une place à part entière. Il se décline en plusieurs axes et notamment développer une économie au service de l’humain. Pour concrétiser cette approche par la pratique, des adolescents créent des associations temporaires. Ils doivent remplir le cahier des charges des structures de l’ESS : mode de gouvernance démocratique, organisation paritaire et projet à but non lucratif. Les petits Francas toulousains, âgés entre 7 et 12 ans, sont ainsi à l’origine de la création d’une association de collecte de vêtements destinés aux sans domicile fixe de la ville rose. Les Francas du Pas-de-Calais sont eux à l’initiative de l’organisation de conseils municipaux juniors. Durant deux jours, ils siègent côte à côte pour proposer des projets, dont les objectifs sont tournés vers autrui. Ils pratiquent en séance les principes du fonctionnement démocratique, de la prise de parole, à l’écoute active, en passant par le travail collaboratif. 

D’autres structures comme les Coopératives Jeunesses de Services (CJS) encadrent tous les étés des jeunes. Des « coopérants » âgés entre 16 et 18 ans montent leurs entreprises coopératives éphémères. Ils décident ensemble des services qu’ils proposent, des clients qu’ils visent, ils adoptent le principe une personne une voix et établissent les règles de répartitions des recettes. Nelly Lechapelain déléguée nationale des CJS défini l’objectif de cette activité, « il s’agit d’un programme qui permet la découverte d’un environnement professionnel mal connu celui de l’ESS et surtout de mettre des mots sur des valeurs qui font sens ». Elle s‘appuie sur les chiffres pour mettre en avant le fait que cette action sensibilise en effet les jeunes à l’ESS.  « A la fin de l’expérience estivale, 68 % des participants à l’édition 2019 disent connaître et surtout adhérer au principe de l’ESS, quand auparavant ils ne savaient pas que ce modèle existait ». Robin, 17 ans, participant du programme témoigne de son apprentissage : « Avec ce projet j’ai découvert un monde d’entreprise plus juste et un mode d’organisation et de pensé le collectif devenu pour moi indispensable ».

Éducation populaire alternative à l’orthodoxie d’État ?

« Les associations d’éducation populaire agissent en totale complémentarité de l’Éducation nationale », déclare Jean-Benoît Dujol, directeur de la Direction de la jeunesse de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA). Un discours que tempère le Cnajep. Pour Audrey Beaudeau « il y en une part qui est soutenue, celle qui est bien vue par le gouvernement, mais il y a celle qui cherche à construire des alternatives à un système qui existe, et cette partie-là est beaucoup moins soutenue »

Thibault Sauvageot précise que « l’ESPER entretien de très bonnes relations avec Christophe Itier, le Haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale » et il confie que la signature réactualisant l’accord-cadre signé en 2013, en 2014 et à nouveau en 2015 avec le ministère de l’éducation nationale, arrivé à échéance, sera renouvelée par ce nouveau gouvernement. Ce sont ces accords cadre qui sont à l’origine de l’ampleur donnée au mouvement d’éducation à l’ESS. Et c’est dans ce cadre que l’ESPER est autorisée à intervenir en classe, peut mettre des outils pédagogiques à disposition des enseignants.

Mais lorsque la question des programme scolaires se pose, Thibault Sauvageot reconnaît regretter jusque-là « le peu de place toujours fait à l’enseignement de l’ESS ». Une première dichotomie entre paroles et actes se dessinent alors, l’ESS doit-elle rester un enseignement d’exception ? « Il y a plein d’étapes, à commencer par celle du ministère, considère Audrey Baudeau du Cnajep, qui doit regarder ce qu’on enseigne à l’université. Est-ce qu’on enseigne une économie politique ? Est-ce qu’on enseigne des économies ? Où est-ce qu’on est encore sur des économies qui valorisent une idéologie dominante ? »

Au-delà de la place réservée aux savoirs de l’ESS dans les programmes scolaires Audrey Baudeau s’interroge aussi sur le devenir de l’ESS dans le champs politique. « On est face à des interlocuteurs politiques qui reconnaissent le champ de l’ESS et qui dans le même temps renversent tout ce qui a constitué la base de la pensée coopérative, solidaire, mutualiste en détricotant les services publics ». Pour Audrey Baudeau, il n’y a donc pas de logique suivie et cela l’amène à se poser la question du projet de société que dessine le gouvernement d’Edouard Philippe : « si la volonté est vraiment d’aller vers une société plus solidaire et plus sociale, alors oui dans un même temps on développe le champ de l’ESS, on soutient les associations de jeunesse et d’éducation populaire et dans un autre temps on fait en sorte que, sur l’ensemble du territoire, tout le monde ait accès à des services publics. Tout cela va dans une même logique mais là on est face à des interlocuteurs qui en défendent une mais pas l’autre. Ça laisse perplexe ».

Pour Bernard Latarjet, membre du labo de l’ESS, son avis est tranché « les instances politiques ne s’intéressent, pour l’instant, qu’aux structures de l’ESS qui ont une grande rentabilité économique, celles de l’agro-alimentaire ou du BTP par exemple ». La politique menée par Emmanuel Macron, pour transformer les entreprises de l’ESS en entreprise licornes est la traduction concrète de ce constat. Un moyen de ramener l’ESS dans le sentier d’un modèle de société néolibérale où la concurrence et la compétitivité sont les fers de lance de l’économie de marché.

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