Finis le recyclage, place à l’upcycling. Cette nouvelle pratique, aussi appelée surcyclage en français, valorise nos déchets en leur donnant de la valeur. Elle devient peu à peu l’une des fortes tendances de l’économie circulaire. D’abord accaparée par la mode, elle se diversifie et concerne désormais tous types de produits. Du meuble design aux chaussures biodégradables, l’upcycling est partout. Mais difficile parfois d’allier qualité et déchets.
Véritable tendance sociale ou prise de conscience du consommateur, les Français sont de plus en plus nombreux à recycler au quotidien. Une étude d’Eco TLC souligne ainsi que 80 % des Français assurent avoir changer leur consommation en matière de mode. Ils sont ainsi près de la moitié à avoir déjà acheté des vêtements ou chaussures intégrant de la matière recyclée.
Dans une société où on atteint presque 14 tonnes de déchets par an et par habitant, selon le CNIID, Centre national d’information indépendante sur les déchets, il devient primordial de réconcilier vieux et neuf via une transformation de matière et de mentalité. L’exemple de l’entreprise de Louis illustre bien cette volonté. Il estime que c’est important d’expliquer à ses clients « à quoi les matières servaient et pourquoi il est pertinent de les réutiliser (…) par rapport à l’impact écologique et aux caractéristiques techniques de ces matières ». Mêlant conscience écologique et optimisation technique, il justifie l’emploi de matières déjà existantes dans la confection de ses bean bags. De la montgolfière au pouf, tout est possible.
L’upcycling, nouvelle manière de recycler
L’upcycling c’est le recyclage 2.0. L’idée est de transformer des matériaux en fin de vie et ainsi leur éviter la poubelle. On crée un nouvel objet, qualitatif, esthétique et totalement différent. Dans son ouvrage Cradle to Cradle : Remaking the way we make things, Michael Braungart explique que « l’upcycling, c’est la création d’une nouvelle valeur pour des déchets à chaque étape du cycle de vie d’un matériau ». L’upcycling, c’est l’occasion de créer et de réinventer. Ingénieur en environnement, Louis a eu l’idée il y a trois ans de créer des coussins géants (ou bean bags) 100 % surcyclés. Lui aussi a une idée bien précise de ce qu’est l’upcycling : « pour moi c’est l’idée d’utiliser les matières telles qu’elles sont, c’est donner une valeur supérieure à quelque chose en le détournant de sa fonction initiale (…) le but, c’est d’utiliser des matières qui sont destinées à être jetées ».
Mais, quelle différence avec le recyclage ? À priori, un produit recyclé sera au final de qualité égale ou inférieure. Avec l’upcycling, il y a la notion de valeur ajoutée. Le produit final et surcyclé doit être beau et de qualité. Totalement intégré dans l’économie circulaire, il va être
économe en eau et/ou énergie, contrairement au recyclage. « Avec le recyclage, la valeur d’un produit baisse (…) alors qu’avec l’upcycling, le produit fini à une valeur propre », note le fondateur de La Tête dans les Nuages.
Encore peu connu, Nicole Carrouset, fondatrice de Le Lissier, une marque de baskets confectionnées en tissus d’ameublement, préfère ainsi employer le terme « recycler », plutôt qu’« upcycler ». « On n’emploie pas forcément le mot car il est arrivé il n’y a pas si longtemps, les gens comprennent mieux quand on parle de tissus recyclés, même si ce n’est pas le bon terme », analyse-t-elle. Il n’empêche qu’une tendance émerge puisque plusieurs créateurs s’intéressent au concept pour en faire leur commerce.
La réflexion et la recherche perpétuelle d’une meilleure qualité fait partie intégrante du surcyclage. Louis cherche toujours un nouveau matériel pour que ses coussins supportent plus de poids. « Le tissu reste très fin, il nous fallait quelque chose de plus solide (…) on a pensé aux bâches de camion, plus résistantes et étanches », explique-t-il.
Pour Nicole Carrouset : « ce n’est pas parce que les tissus ont été utilisés quelques années qu’ils ont perdu en qualité, au contraire. Le fait justement de pouvoir les réutiliser prouve bien leur qualité d’origine. Quand on un tissu de qualité, il peut très bien être utilisé et réutilisé ».
Bien que le surcyclage suppose une meilleure qualité que les produits recyclés, difficile pour autant de le prouver. Cette question dépend du type de produit confectionné et de l’utilisation qui en est faite. « On n’a pas assez de recul encore pour assurer que c’est assez solide. On a plein de clients qui achètent nos poufs depuis trois ans mais je ne peux pas leur dire qu’ils vont les garder 10 ans », confie Louis. Face à cette tendance récente, compliqué en effet de mesurer la durée de vie de ces nouveaux produits. La qualité est là mais pour combien de temps ?
« Il y a une vrai démarche écologique »
Nicole Carrouset est tombée amoureuse des tissus retrouvés chez ses grands-parents. « J’ai en partie été élevée par eux et à la maison, on gardait tout (…) j’ai eu envie de fabriquer quelque chose avec les vieux rideaux qui trainaient dans les placards », raconte-t-elle. « Il y a une vrai démarche écologique (…) il y a tellement de tissus créés et tissés qui ne sont jamais utilisés. En soit, on aurait plus besoin de produire ».
L’environnement est le premier bénéficiaire de l’upcycling et il est temps car le constat est triste. Chaque année, des millions de tonnes de textiles sont gaspillés lors de la fabrication des tissus et des vêtements : sur les 600 000 tonnes de produits textiles mises en vente chaque année, à peine 20 % sont recyclées, selon le rapport publié par l’agence Eco TLC. En soit, il y aurait suffisamment de « fibres pour habiller 4 générations de 12 milliards d’habitants sans en produire de supplémentaires », selon Thomas Ebélé, co-fondateur de la plateforme Sloweare pour l’Obs.
Valoriser ces pertes, c’est prolonger leur cycle de vie, éviter une production inutile et économiser les ressources naturelles. Nicole Carrouset explique ainsi que « les cuirs, ce n’est pas la peine d’upcycler (…) on mange tellement de viande aujourd’hui que le cuir devient un déchet qu’il faut réutiliser ».
Réduire ses déchets est aussi un principe fondamental dans la démarche de l’association Coiffeurs Justes. Créée par Thierry Gras, l’idée est de donner une seconde vie aux cheveux coupés en les recyclant. Le cheveu devient ainsi une matière première dont les qualités peuvent être étonnantes. Thierry Gras explique ainsi à France 3 en janvier dernier qu’1kg de cheveux pouvait absorber 8 litres d’hydrocarbures.
Grâce aux 1800 salons partenaires, Coiffeurs Justes réutilise les cheveux qui lui sont envoyés de toute la France afin de créer « des isolants, des fertilisants mais surtout, des filtres à hydrocarbure », raconte Tiphanie, coiffeuse dont le salon Urban’s Coiffure est membre. « Le salon recycle déjà les cartons, les tubes de couleurs et c’est vrai que les cheveux, c’est presque 50 % de nos déchets », dit-elle. Des déchets revalorisés dans les filtres antipollution. Ces derniers sont en grande partie conçue avec des matériaux récupérés, tels que les bas de contention collectés en centre hospitalier, utiles pour contenir les cheveux et créer les filtres.
De la même manière, le créateur de La tête dans les Nuages, s’est lancé le défi de concevoir ses coussins géants fabriqués uniquement à partir de déchets puisqu’il « voulait vraiment tout faire en économie circulaire ». Il a pu observer que seul 30% des emballages de polystyrène étaient recyclés en Grande Distribution, que les bâches publicitaires sont souvent utilisées quelques mois à peine, que les couleurs des montgolfières ne ternissaient pas avec le temps. Une aubaine qu’il a décidé de saisir en utilisant « du polystyrène broyé pour remplir les poufs, des bâches publicitaires, de conférences de presse et de montgolfières pour les doublures ». Une solution écologique mais aussi économique.
Plus cher mais plus rare
Un des principaux freins à l’achat de produits upcyclés ou simplement fabriqués en France reste le prix. « L’avantage du surcyclage c’est qu’on n’a pas de matière première à acheter », affirme Louis. Mais en soit, le prix final est réfléchi à chaque étape. Pour Nicole de Le Lissier, ses tissus ont « un intérêt économique puisque déjà produits ; après on se débrouille pour acheter à un prix intéressant ». Il y a aussi une question de choix économique de la part de l’entrepreneur : « évidemment, il y a des tissus extrêmement chers mais on essaye de se diriger vers des tissus abordables, déclassés, dont les gens ne savent pas quoi faire. ». C’est dans cette logique de compromis que s’inscrit l’upcycling.
Compromis que chaque maillon de la création doit faire, du fournisseur au consommateur. L’exemple de Nicole résume bien la dimension économique derrière un produit upcyclé : « Je n’ai pas voulu négocier les prix de confection parce qu’il faut que ce soit cohérent pour chacun, que tout le monde soit gagnant, le consommateur aussi. »
Au-delà des processus de fabrication, la logistique reste contraignante : « il faut quand même les collecter, les traiter, on ne peut pas les utiliser en l’état (…) les coûts de main d’œuvre sont plus cher en upcycling ». On ne paye pas uniquement le produit fini, mais également la réflexion et la démarche qui se cache derrière sa réalisation.
Une autre variable rentre en jeu : le type de produit fabriqué. Plus le produit est imposant et crée en faible quantité et plus un prix élevé est justifié. En revanche pour les « petits produits que l’on peut produire en quantité, c’est plus compliqué », explique Louis. Même si ces derniers sont confectionnés selon les mêmes logiques et contraintes, le consommateur ne comprendra pas un prix élevé pour un simple totebag. Toutefois, le prix repensé d’un bien surcyclé ne s’explique pas uniquement par le travail de fabrication. Le retour de la pièce « unique » et créative impose un prix plus élevé.
L’upcycling force les créateurs à faire avec ce qu’ils ont, ce qui nourrit leur créativité. Réservé pour l’instant à une production en faible quantité, l’upcycling s’inscrit dans une société qui se lasse d’une consommation excessive. Les designers textiles, premiers à développer ce principe, ne veulent pas que la démarche écologique écrase celle de l’esthétisme. Cette démarche réussit le challenge de concilier les deux.
La limite de ressources et de matières premières rend chaque produit précieux car esthétique et singulier. Pour Marine Serre, lauréate du prix LVMH 2017 pour ses créations textiles, « le luxe, aujourd’hui, c’est prendre le temps de bichonner une pièce, de la rendre unique », confie-t-elle au Monde.