Le « supportérisme » dans le football en Europe

Les supporters de l’OM ont grandement influencé la saison de leur club avec l’invasion de la Commanderie. (Crédit : Clément Gay)

Le supportérisme est un élément clé dans le football. Les fans qui viennent au stade jouent un rôle important sur plusieurs plans. Ce supportérisme n’est pourtant pas le même d’un pays à l’autre. En Europe, les supporters ont des pratiques et des comportements différents lorsqu’ils assistent aux matchs. Que ce soit en Angleterre, en Allemagne, en France, en Espagne ou en Italie, l’impact n’est pas le même. Pourtant, il existe des similitudes entre les pays. Au fil des années, le supportérisme a évolué et n’a donc plus rien à voir avec ce qu’il était il y a quelques dizaines d’années.

En Europe, le football est un sport qui déchaîne les passions. Avec des stades mythiques comme Anfield à Liverpool, le Camp Nou à Barcelone, le Stade Vélodrome de Marseille ou encore le Signal Iduna Park de Dortmund, les supporters sont toujours présents pour encourager leurs équipes. Ces enceintes historiques qui accueillent des fans depuis le début du XXe siècle ont vu le profil de leurs supporters évolué au fil des périodes.   

En France, la façon de supporter dans les stades a bien changé. Dans les virages des grands stades, les plus fervents supporters sont plus encadrés. L’exemple le plus frappant est le Stade Vélodrome et ses virages Nord et Sud. Les associations de supporters comme les Ultras Marseille ou les South Winners s’y retrouvent pour supporter leur équipe. La ferveur y est toujours présente, mais l’ambiance est difficilement comparable avec celle des années pré-2000.

En 2010, le gouvernement s’est lancé dans une lutte contre le hooliganisme et les violences dans le supportérisme. Il a mis en place un arsenal répressif pour faire face à toutes ces dérives. Pour cela, il a dissous administrativement de nombreuses associations d’ultras jugées violentes. La mort du supporter parisien Yann Lorence après un lynchage a notamment poussé les pouvoirs publics à agir contre ces associations. Un constat similaire est observable en Angleterre et en Allemagne.

La métamorphose de la Premier League et de la Bundesliga

L’Angleterre est le berceau du football. Considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs championnats du monde, la Premier League est souvent citée pour ses ambiances mythiques. Le football anglais est tristement célèbre pour plusieurs évènements de hooliganisme importants. Encore aujourd’hui, le drame du Heysel est ancré dans l’esprit des supporters anglais. En 1985, en finale de Ligue des Champions, Liverpool accueille la Juventus. Après une charge des hooligans anglais, une grille cède et dans un mouvement de foule, de nombreux supporters sont piétinés. Bilan, 39 morts et 600 blessés. Un drame qui va permettre d’engager de nombreuses mesures contre le hooliganisme notamment en Angleterre. Après une énième tragédie avec la chute de la tribune d’Hillsborough, le célèbre Kop d’Anfield est réduit à 12 409 places assises. Petit à petit, la célèbre ambiance des Reds s’est métamorphosée à l’image d’un bon nombre d’autres stades anglais. 

Après les mesures prises pour lutter contre le hooliganisme dans la fin des années 80, un autre élément a accéléré la métamorphose des tribunes anglaises. Le développement du football moderne a beaucoup joué sur ces transformations. L’augmentation constante du prix des billets a freiné l’accès au stade pour les classes ouvrières que l’on pouvait voir à Liverpool ou Manchester par exemple. Aujourd’hui, le développement économique des clubs de Premier League passe avant les supporters et l’ambiance des stades.

Le football allemand a connu un développement similaire. Dans une interview pour So Foot, le politologue Jonas Gabler explique que dans les années 90, le niveau de violence a atteint son apogée en Allemagne notamment à cause de la réunification. 

Pour le politologue, c’est à ce moment-là que les instances dirigeantes vont prendre des mesures pour lutter contre le hooliganisme et les groupuscules d’extrême droite présents dans les stades. « À partir de ce moment s’est développé, au niveau des autorités nationales et régionales, le concept de “ sécurité dans les stades ” , le financement des Fanprojekte d’un côté, le renforcement de la sécurité autour des enceintes et les interdictions de stade de l’autre…», raconte Jonas Gabler avant de poursuivre. « Les stades ont été modernisés, et il y a eu une forte action répressive, pour permettre à la nouvelle clientèle de venir dans ces stades plus confortables. La violence a été largement éradiquée des stades et autour des stades. »

Quid de l’Espagne et de l’Italie ? 

A l’image de l’Allemagne dans les années 90, l’ambiance des tribunes italiennes flirte souvent avec des groupes d’ultras politisés souvent placés à l’extrême gauche. Pour Sébastien Louis, spécialiste du supportérisme, tout cela s’est traduit par des tribunes xénophobes et antisémites dès les années 90. Pour le journal Le Point,  il cite un exemple « Lors du derby de Vérone en avril 1996, deux ultras de l’Hellas Verona portent une cagoule du Ku Klux Klan et pendent un mannequin noir pour s’opposer au transfert d’un joueur originaire du Surinam ». Bien que ces actes aient diminué, il existe encore aujourd’hui, des situations similaires dans le championnat transalpin notamment à l’encontre des joueurs de couleur noire. 

La différence de l’Italie avec les autres championnats se fait au niveau du grand public. Quand la majorité du public des autres championnats est loin d’entretenir ce genre de comportement, l’Italie est un cas particulier. « Pour de nombreux Italiens, faire des cris de singe est identique à se moquer d’un roux : ce n’est pas un acte raciste, mais une manière de se moquer d’un joueur adverse. C’est une xénophobie populaire », explique Sébastien Louis. Cette culture ultra italienne s’est exportée vers l’Espagne qui, elle, n’a pas géré la situation de la même façon.

L’Espagne est un pays de football avec des supporters investis. Comme dans les autres pays évoqués, plusieurs types de public se retrouvent en tribune. Les supporters passifs, les ultras et les hooligans. Dans une interview donnée à Furialiga, Sébastien Louis explique la réaction du gouvernement face à l’arrivée des ultras dans les années 90. « Dans toutes les tribunes, des groupes ultras se constituent. Cependant, la politique est bien trop présente, à travers l’exhibition de nombreux symboles d’extrême droite, et les incidents sont nombreux. Cela va nuire au développement des groupes ultras qui vont se retrouver dans l’œil du cyclone des autorités au tournant des années 1990 et 2000 ». Aujourd’hui comme dans les autres grands championnats, ces groupes sont mieux encadrés pour éviter les débordements. 

Ce qui différencie surtout le supportérisme espagnol des autres pays européens, c’est la place du supporter au sein du club. Le meilleur exemple reste le FC Barcelone et ses socios. Les supporters achètent une place au sein de l’association du club. Ils peuvent ainsi élire le président tous les 4 ans au terme d’une véritable campagne électorale. Un modèle qui fait envie et qui alimente le débat pour certains clubs chez nous en France. Bien que globalement similaires, les pratiques de supportérisme européenne présentent des différences. C’est notamment le mode de gestion des pouvoirs publics qui varie. Mais une chose est sûre aujourd’hui les stades ont été aseptisés comparé à la fin des années 1990. 

Les clubs en danger financièrement

Depuis plusieurs décennies, l’économie du football ne cesse de croître : stade plus grand et places plus coûteuses, joueurs plus chers, droits TV qui explosent. Ces dernières saisons les recettes d’une partie des clubs de première division française se comptaient en milliard d’euros. Mais cet écosystème, tellement instable, peut s’écrouler à n’importe quel moment. La crise de la Covid-19, notamment à travers l’affaire de Mediapro, a mis un coup de projecteur sur les failles de ce milieu. Mais si ce problème avait pu être évité par plus de rigueur professionnelle au sein de la Ligue de Football Professionnel, celui de la billetterie n’était pas prévu. Le football est le sport le plus populaire de la planète. Il est surtout le plus regardé et le plus suivi. 

Depuis les premiers exploits de Pelé jusqu’à ceux de Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo, les stades aux quatre coins du globe n’ont cessé de remplir leurs tribunes. Pendant les huis clos, imposés par la crise sanitaire, les clubs de Ligue 1 ont encaissé des pertes colossales. Certains spécialistes avaient même alerté sur une potentielle crise qui couvait. C’est notamment le cas de Christophe Lepetit, responsable des études économiques et des partenariats au Centre de Droit et d’Economie du Sport (CDES) Limoges.  « Si jamais le sport professionnel reprend sous forme de huis clos, et ce jusqu’à la fin de la saison, le manque à gagner sera considérable, cela se comptera en centaines de millions d’euros.» Au total, ces pertes pourraient être de l’ordre d’environ 400 millions d’euros sur la saison 2020/2021. 

Mais pendant cet exercice, un dilemme s’est posé : celui de continuer malgré une situation économiquement viable. « Même si le foot n’a pas la même composition de revenu que le basket, le handball ou le volley-ball, on a fait continuer le sport alors même que les conditions pour que son économie fonctionne n’étaient pas réunies et on ne l’aidait pas forcément pour passer cette crise. La seule chose qui a permis au foot de ne pas sombrer, c’est les droits TV colossaux qu’ils ont », analyse Christophe Lepetit. 

Selon ce dernier, cette saison pourrait laisser des traces indélébiles dans les finances des clubs. « En l’état actuel des choses, nous ne sommes pas à l’abri d’avoir des clubs en situation de cessation de paiements et qui, dans une situation la plus négative possible, pourraient déposer le bilan et cesser leur activité. Ce qui serait dramatique, parce qu’il y aurait de la destruction d’emplois et de la destruction de certains écosystèmes locaux qui tournent pendant les rencontres. Les perspectives sont assez compliquées et négatives pour le sport pro.» C’est un scénario dramatique qui a également été évoqué par le patron de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le gendarme financier de la Ligue 1, Jean-Marc Mickeler pour LCP, mais cette fois-ci pour la saison à venir. « Sans apport massif des actionnaires existants, il est peu probable que la majorité des clubs de Ligue 1 puisse survivre à la saison 2021-2022.»

Des dommages collatéraux

Selon le spécialiste du CDES, cette crise traversée par le football tricolore pourrait accoucher sur des groupes de réflexion pour changer les modèles économiques du football. « Dans la situation que l’on a connue, il n’y a aucun modèle économique de viable étant donné que l’économie entière était à bout de souffle. On peut faire évoluer les modèles c’est sûr, mais il faut d’abord régler d’autres problèmes comme par exemple les calendriers ou alors réfléchir aux sujets des masses salariales en variation avec les rentrées d’argent de chaque club.»

L’absence des supporters a eu une influence très importante sur les clubs, à travers la billetterie, mais elle a aussi causé des dommages collatéraux. Les associations de supporters en font partie. Les finances de ces groupes reposent en grande partie sur les abonnements. Mais après une saison sans pouvoir se rendre au stade et les décisions de ne pas lancer de campagne d’abonnement par les clubs, l’avenir s’est assombri. « Pendant la saison, on avait pris la décision de ne pas aller au Vélodrome tant qu’il y avait des jauges pour ne pas faire de sélection. Pour la saison à venir, on a peur que ce soit le même cas qu’on ne puisse pas tous venir au stade », regrette Didier Rabahaie *, un dirigeant d’un groupe de supporters à Marseille. « Le problème c’est qu’au-delà du noyau dur de chaque association, une grande partie des supporters s’abonnent aux groupes pour pouvoir assister au match. Et sans cette garantie, il faut s’attendre à ce qu’une partie des gens ne s’abonnent pas. C’est une décision regrettable parce qu’on a besoin de ces revenus. On a des loyers à payer, des sorties d’argent et tout. Je ne veux pas être pessimiste et dire que les groupes vont disparaître, mais on n’est plus aussi serein qu’avant c’est une certitude.» 

La crise sanitaire a mis à mal cette relation si spéciale qui unit les joueurs et leurs supporters. Mais aussi celle qui unit ces derniers avec leur club. Si tout n’est pas toujours rose entre les fans et les propriétaires, ils sont essentiels aussi bien pour la partie économique que pour la partie spectacle dans les tribunes. Sans eux, le football n’est pas le football que tout le monde aime. Ce sport populaire se transforme en une discipline aseptisée qui perd son pouvoir de rassembler, le temps de 90 minutes, un peuple ou une ville. Qui peut faire passer des rires aux larmes, et vice versa, en l’espace d’un passement de jambe. Qui perd toute cette folie et cette passion indescriptible.

Pour aller plus loin : Le football est-il dépendant des supporters ?

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