La pandémie de Covid-19 a précipité le monde dans une crise sanitaire terrible, assortie d’une crise économique aux conséquences déjà dramatiques. En France, du fait de baisses budgétaires incessantes imposées à l’hôpital public depuis des années, la seule réponse possible à l’urgence sanitaire semblait être de confiner le pays, entraînant la mise à l’arrêt presque totale de l’économie. Cet événement, inédit dans l’histoire, a eu de lourdes répercussions sur la population et notamment parmi les plus défavorisés qui ont déjà payé le plus lourd tribut face au virus…
La Covid-19 est apparue officiellement en France le 24 janvier 2020, quand les trois premiers cas positifs sont détectés. Il s’agit alors d’un Français d’origine chinoise et de deux touristes Chinois, revenant tous de Wuhan, premier foyer d’apparition du virus. Le premier décès est déclaré le 14 février et les événements s’enchaînent. Le gouvernement déclare l’épidémie hors contrôle le 14 mars, et le Président de la République annonce au pays l’instauration du confinement dès le 17 mars, qui durera deux mois. Sept mois plus tard, l’épidémie de coronavirus a fait près d’un million trois cent mille victimes à travers le monde, dont au moins quarante mille en France. Les dernières épidémies aussi meurtrières remontent aux années 1957-1958 (lors de la grippe asiatique) ou 1968-1969 (grippe de Hong-Kong). Celle que nous traversons actuellement n’est pas encore finie, pis que ça, elle semble reprendre de plus belle.
Les catégories populaires en première ligne
Cependant, le virus ne cible pas tout le monde de la même manière. Ses symptômes (lorsqu’il y en a) sont très divers et vont de ceux d’un simple rhume à l’insuffisance respiratoire nécessitant un passage aux urgences. Selon Santé Publique France, au 20 octobre, 90% des décès liés à la Covid-19 ont concerné des individus de plus de 65 ans, l’âge médian des patients décédés étant estimé par l’agence publique à 84 ans. Par ailleurs, 65% des décès sont associés à une comorbidité au moins (une hypertension artérielle dans près d’un cas sur quatre et une pathologie cardiaque touchant plus d’un tiers des victimes de la maladie). Outre le nombre important de décès provoqués par cette maladie, avec une surmortalité atteignant jusqu’à 150% dans certaines régions, la situation catastrophique dans les hôpitaux a été le fait d’admissions massives en service de réanimation ; la Covid-19 ayant engendré plus de 30 000 passages cumulés dans ce type de service (contre 1 000 à 2 000 lors des épidémies « classiques » de grippe saisonnière).
Il suffit de s’attarder sur le profil sociologique des infectés et des cas graves pour réaliser que les plus pauvres ont été les plus démunis face à l’épidémie. Une étude menée en juillet dernier par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) a révélé de nombreuses inégalités sociales face au virus. L’institut relève notamment que durant le confinement, lorsque leur activité était maintenue, la quasi-totalité des ouvriers et les trois quarts des employés devaient se rendre sur leur lieu de travail quand seulement un tiers des cadres était dans l’incapacité de télétravailler. Le risque d’exposition au virus pour les salariés les moins bien payés était alors d’autant plus important que ces-derniers, habitant souvent en zone périurbaine, se déplacent en transports en commun.
Outre le fait d’avoir été plus à même d’être infectés par le virus, les plus précaires sont également plus vulnérables face à lui. Le même rapport de la DREES note ainsi que les personnes appartenant au cinquième de la population ayant les plus faibles revenus ont 1,5 fois plus de risques de présenter l’une des pathologies susceptibles de mener à une forme grave de la Covid-19 (diabète, hypertension…). C’est un constat terrible dans un pays où l’écart d’espérance de vie entre riches et pauvres, de 13 ans, est déjà parmi les plus élevés d’Europe.
Une enquête menée par Médecins Sans Frontières (MSF) et Santé Publique France (SPF) à l’issue du confinement et dévoilée début octobre a également pointé des inégalités importantes face à l’épidémie, constatant que 40% des sans-abri avaient été infectés à la Covid-19 en Ile-de-France, et s’alarmant du fait qu’un précaire sur deux avait été contaminé dans la région. A titre de comparaison, SPF estime que 4,5% des Français avaient contracté le virus (9% à Paris) au moment du déconfinement.
L’étude a été menée sur 818 personnes fréquentant 14 lieux d’intervention de MSF (deux sites de distribution alimentaire, deux foyers de travailleurs et dix centres d’hébergement d’urgence, situés à Paris, dans le Val d’Oise et en Seine-Saint-Denis). Il en ressort que la circulation du virus a été particulièrement facilitée dans les endroits où la promiscuité est la plus forte (chambre et/ou sanitaires partagés, repas collectifs…).
Ce constat n’est pas propre à la France. Aux Etats-Unis, où les statistiques ethniques sont permises, des données de plusieurs Etats ont montré que les Afro-Américains, davantage précarisés que le reste de la population, ont deux fois plus de risques d’être contaminés, et trois fois plus de risques de mourir de cette maladie que la moyenne des Américains.
Une crise économique aux effets ravageurs
En réponse à la crise sanitaire, la stratégie mise en place par les autorités pour juguler l’épidémie a eu de lourdes conséquences économiques, les plus terribles pénalisant durement les catégories déjà défavorisées. Le PIB, indice phare qui mesure la production de richesse en France, a baissé de 13,8% au deuxième trimestre 2020, après s’être déjà rétracté de près de 6% au premier trimestre. Cette récession entraîne mécaniquement des destructions d’emploi. Alors que Bercy anticipe la perte de 800 000 emplois à la fin de l’année et que le taux de chômage (catégorie A) est en hausse de 9% sur un an, la Banque de France prévoit que cet indicateur atteindra 11,8% en 2021, contre 7,6% avant le confinement… Si tous les secteurs sont concernés, la majorité des contrats détruits sont des contrats d’intérim ou des CDD, qui concernent les salariés les plus précaires.
Lors du confinement, le gouvernement a massivement déployé le chômage partiel, permettant de sauver de nombreux postes en prenant à sa charge les salaires des employés des entreprises contraintes de fermer leurs portes. Les salariés ainsi concernés ont pu toucher 84% de leur salaire net (100% pour ceux payés au SMIC), préservant en partie leur pouvoir d’achat, bien que l’OFCE évalue à 400 euros la perte moyenne subie par ces travailleurs pour les huit semaines de confinement. L’Observatoire note également un écart salarial important, de 1 100 euros nets mensuels, entre ceux qui ont bénéficié du télétravail (majoritairement les cadres et professions intermédiaires) et ceux qui n’ont pas pu (plus de 18 millions des salariés).
Une étude de l’INSEE est venue corroborer ces chiffres, en affirmant que 23% des ménages ont subi une dégradation de leur situation financière au printemps dernier. Là encore, ce taux grimpe à 35% chez les ménages les plus modestes, contre 11% chez les plus aisés. La baisse de l’activité économique a frappé de plein fouet les artisans et commerçants, mais aussi les employés et ouvriers, chez qui la baisse des revenus se fait fortement ressentir.
Plus de pauvres qu’en 2008
Par ailleurs, toujours selon l’INSEE, la réponse apportée à la crise sanitaire a précipité un million de personnes supplémentaires dans la pauvreté, rejoignant les quelque 9,3 millions de pauvres que comptait déjà le pays (le seuil de pauvreté étant fixé à 1 063 euros par mois). Le taux de pauvreté était demeuré stable en 2008. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, avançait en septembre que 8 millions de personnes sollicitent une aide alimentaire, quand elles étaient 5,5 millions à la même période l’an dernier. La Fédération française des banques alimentaires, qui approvisionne 5 400 structures, a ainsi augmenté ses distributions de 25 % depuis le confinement, quand le Secours Populaire a enregistré une hausse des demandes d’aide alimentaire de 45% dans le Rhône. La paupérisation de la société se reflète également dans le nombre de demandeurs du Revenu de Solidarité Active (RSA), en hausse de 10% sur un an en moyenne sur le territoire.

Si le gouvernement a semblé réagir à temps à la crise sanitaire pour éviter une saturation totale des services de réanimation et a mobilisé des moyens stratosphériques pour atténuer l’impact économique du confinement (l’OFCE recensant un total de 70 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires entre 2020 et 2022), il est clair que les populations les plus précaires ont subi, et continuent de subir, les pires séquelles de cette crise. Sur le plan sanitaire comme économique, l’embellie ne semble par ailleurs pas près d’arriver. Face aux mauvais indicateurs épidémiques diffusés par Santé Publique France cet automne, les autorités ont imposé un nouveau confinement pour tout le mois de novembre. Cette période de restriction de l’activité pourrait se prolonger davantage. Elle amènera quoiqu’il en soit son lot de désolations.