Paris : Un patrimoine religieux qui tombe en ruine

La façade principale de l'église Notre-Dame-de-Lorette (IXème arrondissement) © Thomas Berthelot

Cela fait des années que le patrimoine religieux de la ville de Paris se dégrade. Une situation inquiétante que bons nombres d’associations ne cesse de dénoncer. Malgré des travaux en cours et de grandes promesses de la mairie, la situation ne semble pas évoluer assez rapidement. 

L’homme le clame haut et fort : « Les travaux réalisés sont insuffisants alors que les besoins sont énormes ! Cela fait vingt voire trente ans que les sommes affectées aux lieux de culte sont trop faibles. » Représentant de l’association SOS Paris, Régis de Savignac n’en est pas à sa première critique. Car c’est une grande majorité du patrimoine religieux parisien qui est actuellement en mauvais état alors qu’elle appartient à la Ville de Paris. Un patrimoine dont le maire est pénalement responsable. « Si une église s’effondre, c’est le maire qui va en prison ! », déclare Maxime Cumunel, le président de l’Observatoire du patrimoine religieux.

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Crédits : Thomas Berthelot – Ivan Muret

Parmi les lieux de culte de la capitale, les églises semblent les plus touchées. Une situation devenue encore plus préoccupante lors de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame le 15 avril 2019. « Si Notre-Dame était dans un mauvais état, imaginez les autres églises comme la Madeleine… », déplore Maxime Cumunel. Et pour cause. « C’est un cas qui parle de lui-même », explique Alexandra Sobczak-Romanski d’Urgence patrimoine.

« On entendait depuis plusieurs années que sa restauration nécessitait 50 millions d’euros mais que la Ville de Paris n’avait pas l’argent. Par contre, lorsque la  cathédrale brûle, la mairie débloque 50 millions d’euros. C’est surréaliste !  »

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Crédits : Thomas Berthelot – Ivan Muret

« Le problème est assez ancien », précise Robert Montel, délégué départemental de Paris pour la Fondation du patrimoine. « La plupart des églises parisiennes ont été construites au XIXème siècle avec des pierres et des charpentes métalliques. Pour l’époque, il s’agissait de matériaux nouveaux, ce qui explique en partie la fragilité de certains édifices. La situation est aussi liée au déclin de la pratique religieuse de ces dernières décennies. »

Mais si le patrimoine religieux parisien est aujourd’hui en mauvaise posture, c’est avant tout parce que la mairie de Paris ne s’en est jamais vraiment préoccupée. « Tout d’abord, il y a toujours eu un léger face à face entre l’Eglise et la Ville de Paris. L’Eglise considérait que les travaux étaient à la charge de la mairie. Cela s’est amplifié lorsque Paris est passée à gauche avec Bertrand Delanoë », affirme Robert Montel. « Alors certes il y a eu un plan église d’environ un milliard de franc imaginé par Jacques Chirac dans les années 1991-1992 », explique Maxime Cumunel. « Mais il n’a jamais été réalisé puisque que Jacques Chirac a quitté la mairie un an et demi après. Et depuis, la situation ne s’est jamais vraiment améliorée. »

À partir de 2001, Bertrand Delanoë engage 150 millions d’euros sur ses deux mandats afin d’entretenir les édifices religieux. Jugé de nouveau comme insuffisant, c’est avec l’arrivée d’Anne Hidalgo à l’Hôtel de Ville qu’il y a eu une prise de conscience. « Mais on ne peut pas dire qu’il y a un programme de restauration. On pense à tort que les édifices resteront là », déplore Robert Montel. Pour Maxime Cumunel c’est encore pire :

« On attend une réponse de la part de la Ville de Paris depuis les années 1980, soit près de 40 ans ! » 

Crédits : Thomas Berthelot – Ivan Muret

Des travaux partiels ou inexistants

Cependant, malgré les travaux réalisés, le patrimoine religieux parisien reste en très mauvais état. Une situation paradoxal mais qui a ses raisons d’après Maxime Cumunel : « Ce sont des travaux d’urgence et ils sont clairement insuffisants. » Un avis partagé par Régis de Savignac. « A chaque fois, la Ville de Paris restaure un petit bout d’une église. On a l’impression qu’on attend qu’un accident puisse arriver pour enfin lancer des travaux », affirme-t-il. Parmi ces travaux partiels, il dénonce en particulier une pratique :

« Ils ont tendance à restaurer uniquement les façades qui sont visibles. Prenez l’exemple de l’église Saint-Merry dans le IVème arrondissement, en face du Centre Pompidou. La façade ouest est terminée depuis deux ans et c’est magnifique. Mais la façade nord est crasseuse et je ne vous parle pas de l’intérieur de l’église. »

Eglise Saint-Merry © Thomas Berthelot 
Eglise Saint-Merry © Thomas Berthelot 

Une situation similaire que l’on observe à l’intérieur de l’église Notre-Dame de Lorette. « Le cul de four a été restauré derrière l’autel, la chapelle des baptêmes a également été refaite avec l’aide du mécénat, et encore une fois, c’est magnifique. Mais si vous regardez les autres chapelles, vous voyez qu’ils ont mit des échelles car l’église est fragile », déclare le représentant de SOS Paris.

Les exemples sont multiples. Ainsi, dans le Ier arrondissement, la ville a refait la façade de l’église Saint-Eustache du côté du jardin des Halles en raison des nombreux Parisiens et touristes qui passent devant chaque jour. On trouve également des édifices religieux pour lesquelles des chantiers sont prévus mais qui n’ont toujours pas débuté. « Prenez l’exemple de la Madeleine. Il y a des échafaudages depuis maintenant six ans », déplore Régis de Savignac.

Des échafaudages également présents sur le massif d’entrée de l’église de La Trinité alors que les travaux n’ont toujours pas commencé depuis près d’un an. « Encore une fois, pourquoi la façade principale fait l’objet d’une restauration ? Parce qu’elle menace de s’effriter et de blesser les enfants qui jouent dans le square juste en bas. Et puis parce qu’elle est visible depuis les grands magasins », affirme Maxime Cumunel. 

Enfin, si certains lieux de culte ont la chance de bénéficier de travaux, d’autres semblent avoir été oubliés par la mairie de Paris, leur état n’étant pas considéré comme « urgent ». C’est notamment le cas de l’église Saint-Pierre de Chaillot, dans le XVIème arrondissement, dont se plaint Régis de Savignac :

« C’est l’église la plus crasseuse de Paris ! Ce n’est pas la première fois qu’on le dit mais à chaque fois la ville nous répond qu’il n’y a pas péril en la demeure et qu’ elle finira par la nettoyer un jour. »

 Eglise Saint-Pierre-de-Chaillot  © Thomas Berthelot
 Eglise Saint-Pierre-de-Chaillot  © Thomas Berthelot

Maxime Cumunel dénonce également cette situation : « Regardez Saint-Germain-des-Prés. Ce n’est pas une église anecdotique. Pourtant, on remarque que certains murs sont fissurés et pas nettoyés, des grilles rouillées ou encore des portes à la peinture écaillée. » 

Eglise Saint-Germain-des-Prés © Ivan Muret
Eglise Saint-Germain-des-Prés © Ivan Muret
Eglise Saint-Germain-des-Prés © Ivan Muret

Pour mieux s’en rendre compte, nous avons suivi Maxime Cumunel au sein de deux églises considérées comme oubliées par la Ville de Paris : 

Maxime Cumunel, le président de l’Observatoire du patrimoine religieux
Eglise Saint-Laurent © Thomas Berthelot
Eglise Saint-Laurent © Thomas Berthelot
Eglise Saint-Laurent (détail) © Thomas Berthelot

Un budget jugé trop faible

« Il y a six ans, Anne Hidalgo annonçait qu’elle affecterait 80 millions pour entretenir le patrimoine religieux de Paris. La ville avait fait une liste des lieux de culte nécessitant des travaux en priorité », rappelle Régis de Savignac. Ce que confirme Maxime Cumunel : « Elle parlait de 80 millions pendant sa campagne en 2014, expliquant que c’était du jamais vu par rapport à Bertrand Delanoë. »

Avec une telle somme, les défenseurs du patrimoine parisien avaient de l’espoir quant à l’entretien des édifices religieux. « On espérait qu’avec un tel budget, des travaux seraient engagés sur la plupart des lieux de culte, mais ce n’est pas le cas. », déclare Régis de Savignac. « Les travaux coûtent souvent plus cher car la ville a trop attendu ! »

Pourtant, toutes les associations du patrimoine s’entendent sur un point : les édifices religieux nécessitent de gros besoins et il faut impérativement augmenter le budget alloué.

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Crédits : Thomas Berthelot – Ivan Muret

Mais la mairie de Paris explique ne pas pouvoir dépenser autant. « C’est le même constat que sur l’ensemble du territoire français », déplore Alexandra Sobczak-Romanski.

« On ouvre le parapluie en affirmant qu’il n’y a pas assez d’argent et qu’on fera des travaux une fois qu’il y en aura. Au final, on ne fait jamais rien. »

Consternant pour les défenseurs des lieux de culte quand on sait que le budget patrimoine représente moins de 1% du budget entier de la Ville de Paris pour une mandature. 

Les défenseurs du patrimoine doutent également des 80 millions engagés par la mairie même. Philippe de Cuverville, économe du diocèse de Paris, le reconnaît : « La mairie n’a dépensé qu’environ 70 millions d’euros. Le reste provient des aides de l’Etat, du mécénat et du budget participatif. »

Mais pour Régis de Savignac, la réalité est encore plus décevante. « 20 millions d’euros ont servi à finir les chantiers commencés sous Bertrand Delanoë. Puis 20 millions d’euros pour l’entretien courant du patrimoine religieux. Ce qui ne fait plus que 40 millions pour les chantiers lancés par Anne Hidalgo, soit la moitié de ce qui est annoncé », explique-t-il. 

En retour, la communication de la Ville de Paris ne rassure pas. « Elle ne communique jamais sur l’état des lieux du patrimoine religieux, il n’y a aucune transparence, ce qui empêche une prise de conscience collective qui permettrait d’avoir une action consensuelle », explique Maxime Cumunel. 

Si aucun des acteurs du patrimoine ne contredit le fait que la mairie de Paris a réalisé des travaux, les actions sont jugées trop insuffisantes au regard des promesses faites au début de la mandature.  « On est conscient qu’il y a beaucoup d’efforts à faire. Mais la déception est là », déclare Régis de Savignac. Ce serait d’ailleurs parce qu’elle n’a pas respecté ses promesses qu’Anne Hidalgo ne fait pas preuve de transparence :

« Pour préserver un bilan qu’elle estime bon, et à tort, la ville manque de communication. En même temps, cela ne desservirait pas sa politique étant donné l’état des lieux de culte, déclare Maxime Cumunel. Normalement quand le bilan est bon, on le crie sur tous les toits  ! »  

La situation actuelle du patrimoine religieux paraît donc assez inquiétante. À en croire leurs défenseurs, les édifices cultuels font partie intégrante de la capitale et de son histoire.

Mais alors, qu’en pensent les Parisiens ?

Existe-t-il des solutions ?

Si les Parisiens rencontrés semblent donc plutôt dénoncer la situation de leur patrimoine religieux, la plupart s’arrêtent là. Ce que regrette Alexandra Sobczak-Romanski. « C’est peut-être aussi aux amoureux du patrimoine et ceux qui dénoncent la situation d’aider en faisant des dons par exemple. » Un refus qui s’expliquerait en partie par la honte de donner de petites sommes :

« Le don libre est un don compliqué. Souvent les personnes ne donnent pas par honte de donner trop peu. Certains proposent aussi de rendre les églises payantes mais je pense que ce n’est pas une bonne idée. Et puis il est inscrit dans la loi de 1905 que les lieux de culte doivent être ouvert et accessibles au public gratuitement. »

D’autres solutions permettraient d’attirer davantage l’attention de la mairie de Paris sur son patrimoine cultuel. « Les édifices classés ont l’avantage d’avoir une aide de l’Etat quand les travaux sont lancés. On pourrait donc en classer pour attirer l’attention dessus », explique Régis de Savignac. « Chaque année, un ou deux édifices cultuels sont inscrits dans la liste, ce qui améliore les choses mais on n’arrivera jamais à 100%. » Le représentant de SOS Paris affirme également qu’une augmentation de la publicité pourrait aussi être une bonne idée. « La Ville de Paris y fait déjà appel. Et même s’il faut un accord du curé de l’église, mettre davantage de publicité sur les échafaudages comme à la Madeleine pourrait apporter un petit complément budgétaire », affirme-t-il.

Certains amoureux du patrimoine estiment également qu’il serait utile d’aménager la loi de séparation de 1905. « On sait qu’il y a actuellement des réflexions sur le sujet », déclare Régis de Savignac. L’une des idées serait de prévoir des contraintes afin de forcer les communes à agir. D’autres pensent à une action de la part de l’Etat, qui pourrait augmenter les aides de l’exécutif ou pousser le ministère de la Culture à faire des injonctions de travaux pour rappeler à l’ordre sur le mauvais entretien des lieux cultuels.

Enfin, la principale et meilleure solution est bien évidemment celle d’un budget plus élevé. En pleine campagne pour les élections municipales, les candidats à la mairie de Paris semblent avoir envoyé un message positif concernant cette question. Interrogés par la Fondation Avenir du patrimoine (créée en 2013 par le diocèse de Paris), la plupart ont prévu d’augmenter le budget alloué au patrimoine religieux.

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Crédits : Thomas Berthelot – Ivan Muret

Des sommes satisfaisantes selon Philippe de Cuverville : « On le voit bien dans ses auditions, les montants proposés par les candidats sont en hausse. » Mais cela ne l’empêche pas d’émettre quelques réserves, notamment au sujet de l’avenir :

« Les budgets proposés ne sont malheureusement pas encore suffisant. Et puis il faudra aussi vérifier que cela se concrétise car annoncer que l’on va faire c’est bien, mais faire c’est mieux ! »

 Ivan MURET et Thomas BERTHELOT

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