Combien d’entre nous sait réellement où va son argent et à quoi il sert ? Comment fonctionne une banque ou encore quelle utilisation fait-elle de notre compte épargne qui dort sagement depuis des années ? Par manque de connaissances ou par manque de temps, la réflexion sur son mode de consommation financière est souvent difficile à entreprendre. Toutefois, de nouveaux organismes bancaires émergent, comme le Crédit Coopératif ou encore la Nouvelle économie fraternelle (Nef), permettant d’allier finance et traçabilité.
Après les différents scandales financiers qui ont mis en cause des grandes banques comme la Société Générale, HSBC ou BNP Paribas, entre fraude fiscale et investissements douteux, la défiance des consommateurs s’accroît. En plus des inquiétudes collectives quant à l’utilisation des banques de notre argent, s’ajoute aussi l’impact écologique de leurs actions. Un rapport réalisé par le cabinet de conseil Utopies et l’association les Amis de la terre mesure l’impact climatique des banques françaises selon leurs investissements. Il en ressort que ces dernières « se placent en tête des entreprises les plus polluantes, devant les compagnies pétrolières, aériennes et les fabricants automobiles ». Ainsi, le choix de la banque pour un particulier et l’utilisation de son épargne peuvent se révéler être des leviers d’action militants pour encourager des avancées écologiques.
L’importance du secteur financier dans la lutte écologique
L’argent, c’est le nerf de la guerre. Les décisions prises au sein du secteur bancaire font parties intégrantes de la lutte écologique et d’un changement vers une société plus résiliente. L’investissement bancaire est un reflet des choix politiques et environnementaux. Dans cette esprit, la France, par sa place à l’international, pourrait devenir un modèle de responsabilité écologique. « Les banques qui créent de la valeur ont un rôle clé parce que ce sont elles qui décident pour tous de quoi sera fait le monde de demain. On a quatre grosses banques nationales qui figurent parmi le top 10 des banques en Europe et top 20 dans le monde, la France a donc une grosse responsabilité », explique les Amis de la Terre, association de protection de l’Homme et de l’environnement.
Même si la conscience écologique s’éveille, le financement d’énergies fossiles et polluantes continue d’être l’axe majeur des grandes banques nationales. « Malgré les alertes scientifiques, les mobilisations citoyennes, leurs décisions d’investissements sont toujours massivement tournées vers les causes du dérèglement climatique », explique Lorette Philippot, chargée de campagne Finance privée des Amis de la Terre. Par choix ou par inconscience, la lenteur de la réactivité des institutions bancaires, souvent pointée du doigt, les a poussé à mettre en place des campagnes publicitaires faisant l’éloge de leur nouvel engagement écologique. « Les banques sont très attachées à leur image et sont très fortes pour déployer des stratégies de communication de greenwashing », analyse Lorette Philippot.
En creusant plus loin que ces spots marketing, la réalité de leurs investissements reste inchangée et relève plus d’un greenwashing financier que d’un nouveau positionnement conscient. Selon le rapport de l’association: « Quand on compare le portefeuille de crédits et obligations aux grandes entreprises, on constate que la répartition sectorielle est déterminante dans le poids carbone des banques françaises. La part importante des financements du Crédit Agricole au secteur énergétique (pétrole & gaz principalement) représente ainsi la majeure partie de son empreinte carbone. »
Les banques ne sont pas seules actrices de cette responsabilité. Les associations attendent des États, et donc des différents gouvernements, d’avoir une certaine volonté politique de se diriger vers des rouages financiers plus éthiques. « Le gouvernement a un rôle crucial à jouer. Il doit garantir une sécurité financière, des prérogatives de sécurité publique. Il doit exiger aux banques de se tenir à distances des investissements polluants et des énergies fossiles en tant que régulateur financier, il doit imposer une meilleure prise en compte des risques climatiques », selon l’association des Amis de la Terre.
Entre législation et impulsion politique, les Amis de la Terre suggère que « le côté financier doit se tenir loin de la spéculation, pour que les citoyens reprennent le pouvoir sur leur argent ». Cette confiscation du libre-arbitre monétaire est un des combats de cette association qui « travaille pour proposer des alternatives à tous niveaux, en montrant qu’une autre société est possible, en finançant des projets environnementaux et sociaux et positifs pour créer une société plus résiliente ». Cette alternative, la Nef la propose.
La Nef, précurseur d’une finance écologique et militante
Classée première du rapport d’Utopies et des Amis de la Terre sur l’empreinte carbone des banques françaises, avec seulement 200 grammes de CO2 émis pour chaque euro confié à la banque contre 1070 grammes par euro confié par exemple au groupe Crédit Agricole, la Nef s’inscrit comme une des premières banques alternatives éthiques.
Ayant dans l’optique de proposer à long terme les mêmes services qu’une banque classique, cette coopérative bancaire s’est vu refuser l’agrément leur permettant de mettre à disposition un compte courant pour les particuliers, sous couvert d’un manque de stabilité économique.
« Aujourd’hui le retour de la banque de France est négatif pour les comptes courants destinés aux particuliers, c’est pas suffisant. Il faut qu’on soit plus grand et plus stable économiquement. », indique Léo Miranda, directeur marketing à la Nef.
Ce refus peut paraître paradoxal quand on demande à une entité de se développer tout en limitant ce même développement par crainte d’insuffisance monétaire. Une limite que regrette le directeur marketing : « On est réglementaire mais on reste encore petit à leurs yeux et ça les inquiète pour la gestion de l’argent du quotidien. C’est un produit sensible, avec un découvert, des chéquiers avec le risque des impayés. Mais économiquement on a besoin de se développer aussi sur le compte courant, non pas pour atteindre une stabilité économique, on peut le faire sans, mais pour vraiment changer d’échelle ».
La grande différence de cette banque, c’est qu’elle soutient des projets qui ont un impact sociétal positif avéré dans le domaine de l’écologie, de la culture et de l’économie sociale et solidaire. « Nous accordons des prêts exclusivement à ces entreprises là avec une sélection à l’entrée, sur des critères économiques. Nous regardons si l’entreprise est assez stable pour rembourser son crédit et sur l’analyse du projet, comme le côté local, l’adéquation entre le porteur du projet et son projet », explique Léo Miranda. Les critères de sélection sont décidés en interne avec un comité d’éthique, qui est « non décisionnaire mais d’orientation », précise t-il. Ce dernier apporte notamment une lecture sur les tendances sociales et sociétales afin de savoir si c’est dans l’impulsion de la société.
Mais la réelle particularité de cette banque est sa transparence extrême : « On veut rendre compte aux détenteurs d’épargnes de ce qui a été fait de leur argent pendant l’année, donc chaque année on édite une fiche complète de l’ensemble des financements qui ont été octroyés par les épargnants. Elle est présente sur le site, on peut y voir quelles activités ont été financées, avec quels partenaires », explique Léo Miranda.
La Nef a réussi, par sa constance, à rassurer ses clients et prouver qu’une banque peut être vectrice d’investissements positifs. Même si maintenant « toutes les banques financent le bio, parce que c’est une croissance à deux chiffres », rapporte le directeur marketing de la Nef. « On se méfie beaucoup du greenwashing et des entreprises qui veulent juste faire du profit et surfer sur la vague. Ça nous arrive parfois de refuser. Les piliers fondateurs sur lesquels on s’est basé, celui de transparence et le financement exclusif de projets éthiques, on n’a jamais dévié de ça. On a une constance jusque dans nos actes depuis 30 ans », rassure-t-il.
En plus de valeurs indéfectibles, le statut juridique même de la Nef ne permet pas de dérive de ce type. « L’avantage d’une coopérative c’est que la maximisation des profits est limitée, on ne peut presque pas avoir d’enrichissement personnel. Il y a l’encadrement du capital via le statut coopératif et une bonne part de l’argent doit revenir dans la coopérative. Ça fait pas mal de garde-fou », ajoute-t-il.
Redonner aux consommateurs ce pouvoir, c’était la vocation des créateurs de la Nef en 1978 qui n’ont pas eu le choix que de s’organiser eux-mêmes pour construire une autre forme d’économie. « Ça a commencé parce que les banques ne voulaient pas financer ce genre de projet. Ils se sont dit que s’il n’y a personne pour le faire, ils fallaient le faire eux-mêmes », raconte Léo Miranda.
Cependant une société financière dépend des agréments qui lui sont accordés ou non. « En 2015 on a eu le dernier élargissement avec l’agrément pour les livrets pour les particuliers. On a quasiment triplé en 3 ans. On est passé de 10 000 clients à plus de 30 000 parce que c’est un produit grand public. »
Même si « l’acte militant d’ouvrir un compte épargne est déjà présent », la transition totale d’une banque classique vers une banque éthique n’est pas encore possible. « Mais le pallier d’après, c’est d’obtenir cette gamme de produits complète pour que le client. Je me mets à sa place. Il ne peut pas, pour l’instant, changer complètement de banque. Même à titre personnel, je suis obligé de garder un compte courant chez une autre banque », constate le directeur marketing.
L’évolution des institutions bancaires n’a rien de naturel, tout comme l’était leur création. Les banques ne se sont pas imposées d’elles-mêmes, elles répondent à une demande. « Il y a eu une institutionnalisation bancaire comme garantie de retour de financements. À la base, l’invention est vertueuse, ça a permis une accélération du développement des entreprises tout en sécurisant l’argent des épargnants, donc on minimise les risques pour les épargnants », explique le directeur marketing de la banque alternative.
Le système bancaire actuel ne permet pas le retrait total des institutions même avec le fort développement des crypto-monnaies ou des monnaies locales qui ne fournissent pas les mêmes services et ne comblent pas les besoins actuels des consommateurs. Pour Léo Miranda : « on a besoin du crédit pour faire tourner l’économie. Le crédit professionnel est indispensable, à moins que les crypto monnaies ou les monnaies locales se mettent à faire du crédit. Je pense qu’elles n’y arriveront pas et qu’elles n’y seront même pas autorisées par les autorités de régulation. On a besoin de banques, c’est vital ».