Des méthodes alternatives à l’abattage industriel se développent en France, afin de favoriser une consommation de viande plus éthique et respectueuse du bien-être animal.
Comment faire coïncider l’élevage éthique avec une mise à mort respectueuse des bêtes ? C’est la question qui taraude bon nombre d’éleveurs. En France, il existe 265 abattoirs et leur nombre baisse au profit d’abattoirs industriels qui privilégient la rapidité et l’abattage de masse au dépend du bien-être animal. Cette méthode effraie de nombreux éleveurs car elle ne respecte pas leurs valeurs.
Jocelyne Porcher, ancienne éleveuse de moutons devenue directrice de recherche à l’INRA sur l’élevage et la production animale, a pris conscience de la dichotomie grandissante entre les attentes des éleveurs et la réalité industrielle. La chercheure distingue rigoureusement les notions d’élevage et de production animale industrielle : « Un éleveur se préoccupe de son troupeau, de sa nourriture et de son bien-être. En revanche, la production animale a lieu dans des fermes industrialisées où les bêtes sont entassées dans le but de faire de la production de masse. Le respect de l’animal n’existe pas. D’ailleurs, le terme d’ « élevage industriel » est un oxymore, ça ne veut rien dire ! ».
Problème : faute d’alternatives, même les éleveurs les plus éthiques sont contraints d’envoyer leurs bêtes à l’abattoir, où ils ne contrôlent plus rien. Là-bas, c’est le système industriel qui l’emporte.
Méthodes alternatives et abattoir mobile
Face à la norme industrielle, des éleveurs utilisent déjà d’autres méthodes. Certains mettent à mort leurs bêtes directement chez eux avec un matador –pistolet qui étourdit les bêtes- ou un fusil et vendent leur viande en passant par des réseaux de connaissances. Mais ce système est illégal car pour être vendue, des services vétérinaires doivent contrôler la conformité sanitaire de la carcasse. Avec son association « Quand l’abattoir vient à la ferme », Jocelyne Porcher souhaite légaliser et faciliter ces méthodes : « Cette pratique permet plus de transparence pour les éleveurs qui ont peur du modèle très opaque des abattoirs industriels ». Des caissons d’abattage mobiles commencent à être mis en place pour que les éleveurs tuent directement leurs bêtes dans les fermes. Ces caissons, qui sont de la taille d’une remorque, donnent les outils nécessaires pour réaliser la saignée. Une fois tuées, les éleveurs transportent les carcasses dans des abattoirs classiques pour les stocker.
Une autre alternative est l’abattoir mobile. L’une des plus grandes sources d’angoisse pour les bêtes lors de l’abattage concerne le transport. Les animaux se retrouvent entassés et souvent mélangés avec des bêtes d’autres élevages. Cette étape, à laquelle même les viandes dites « bio » ne coupent pas, altère la qualité de la viande car l’animal génère des toxines lorsqu’il est stressé.Emilie Jeannin a fait ce constat. Cette éleveuse de charolaises dans la Côte d’or s’est toujours intéressée aux meilleures méthodes pour produire une viande de qualité.
Elle a alors fondé Bœuf Ethique pour mettre en place un abattoir mobile destiné aux bovins. Depuis 3 ans, elle monte son projet avec la volonté de prouver qu’elle peut générer de l’argent grâce à un modèle plus éthique, sans passer par des méthodes industrielles. « Alors que je m’interrogeais sur de nouvelles méthodes de transport, Franck Ribière, le réalisateur du documentaire Steak (R)évolution, à la recherche du meilleur steak du monde, m’a parlé d’un abattoir mobile en Suède. Nous y avons passé une semaine et au retour, je ne voulais plus passer par autre chose que par l’abattoir mobile », explique l’éleveuse.
L’abattoir tient dans plusieurs camions : une remorque pour l’abattage en lui-même, deux frigorifiques pour stocker les carcasses, une pour les vestiaires et les vétérinaires et une dernière pour les déchets. « Une réflexion poussée est nécessaire car le lieu est très exigu donc il faut être prudent. La cadence sera nettement inférieure à celle des abattoirs traditionnels : je m’attends à un ratio de 12 bêtes tuées par jour contre une bête par seconde dans les abattoirs industriels ». Une fois abattues, les carcasses seront déposées dans des abattoirs de proximité pour être stockées et découpées. Enfin, la viande sera vendue sous la marque « Bœuf éthique », à un prix « équivalent à celui du bio », ajoute l’entrepreneuse. Ainsi, contrairement aux caissons d’abattage, l’abattoir mobile propose tout le service d’abattage sans que l’éleveur n’ait besoin de le faire lui-même et de s’occuper de la carcasse par la suite.
Des solutions efficaces ?
Même si Jocelyne Porcher espère que l’abattoir mobile fasse ses preuves, elle émet quelques réserves : « Ce camion qui existe initialement en Suède ne me semble pas adapté à la France car nous avons de plus grands troupeaux. Il y a aussi les questions pratiques : comment ce « camion », qui représente en réalité cinq véhicules différents, va pouvoir accéder aux élevages en montagne ou aux petits élevages qui n’ont pas la place d’accueillir autant de remorques ? ». Une bonne logistique est donc à prévoir. Le point de vue financier est également un frein à l’expansion de cette méthode : Emilie Jeannin a dû trouver des investisseurs pour financer le million d’euros que coûte le matériel. Si les caissons à abattage sont moins onéreux –de 5 000 à 15 000€-, beaucoup d’éleveurs sont réticents à s’occuper eux-mêmes de tuer leurs bêtes. De plus, cette méthode s’avère elle aussi inadaptée aux grands troupeaux.
Une collaboration entre les abattoirs actuels et les méthodes alternatives semble néanmoins envisageable. « Certains industriels sont contre les nouvelles formes d’abattage mais d’autres, plus malins, y voient une forme de complémentarité avec leurs pratiques. L’abattoir de Bergerac par exemple a pour projet d’acheter des caissons d’abattage à mettre à disposition des éleveurs pour qu’ils abattent leurs animaux directement chez eux avant que l’abattoir ne stocke les carcasses », explique Jocelyne Porcher.
Les deux éleveuses pensent aussi que la prise de conscience doit aussi passer par les consommateurs. Pour la directrice de recherches, il faudrait les sensibiliser à tout ce qui est impliqué lorsqu’ils consomment des produits d’origine animale : « Derrière chaque produit animale, la question de l’abattage revient. Peut-être qu’il faudrait montrer aux consommateurs comment se passe l’abattage des animaux afin de remettre les pendules à l’heure. C’est la même chose pour le fromage : beaucoup de chevreaux sont abattus afin de garder le lait de la chèvre pour la production fromagère ».