INTERVIEW – En alternative aux grands foyers et centres d’hébergement d’urgence, l’association Lazare propose depuis 2006 un habitat social innovant et citoyen aux personnes sans domicile fixe. Dans des appartements « ordinaires », à taille humaine, l’association crée des colocations solidaires constituées de personnes sans domicile fixe et des jeunes professionnels volontaires.
Loïc Luisetto, ancien secrétaire générale de Lazare, est devenu récemment délégué général. Chargé du suivi des missions en Europe, il travaille avec le fondateur de l’association, Etienne Villemain, pour le développement de l’association et la création de nouveaux projets. Il répond aux questions de l’essentiel.
Quelle est l’action de votre association ?
Lazare développe et anime des appartements partagés, non mixtes, de 6 à 10 personnes. Chaque appartement est habité par des personnes qui ont vécu dans la rue et des jeunes actifs bénévoles. Lazare existe depuis 2011, c’est une association à but non lucratif. Aujourd’hui l’association est présente à Nantes, Marseille, Lyon, Toulouse, Lille, Angers et Vaumoise (Oise). On compte 70 à 80 bénévoles pour 5 salariés. L’objectif de notre association est de proposer à des personnes sans-abri de vivre avec des jeunes actifs, nous n’avons pas plus d’ambition que ça. Notre mission consiste uniquement à développer le vivre ensemble. Nous mettons en relation, des jeunes actifs avec des personnes ayant connus un parcours de vie difficile, qui vont d’échec en échec et qui acceptent de vivre ensemble.
Sur quel modèle économique se base l’activité de Lazare ?
Notre structure dépend entièrement de l’économie circulaire. Le principe est simple. Nous récupérons des bâtiments en mauvais état, puis nous organisons des campagnes de levées de fonds pour rénover ces bâtiments et nous demandons un loyer aux locataires, qu’ils soient actifs ou non. Le résident signe une convention d’occupation précaire renouvelable par tacite reconduction. Le loyer s’élève à 300 euros. Tous peuvent demander une aide au logement auprès de la CAF. Ces loyers sont réinjectés par la suite dans les frais de fonctionnement de l’association ainsi qu’au fonds de rénovations des bâtiments. Nous avons reçu le prix de la Fondation La France s’Engage (FFE) en Septembre 2016, remis par l’ancien président François Hollande. Ce prix encourage notre initiative et notre développement en France pour deux ans. C’est une aide précieuse car financière et constitue un gage de crédibilité importante. Grâce à lui nous pouvons souvent organiser des journées portes ouvertes et appuyer notre engagement auprès des citoyens et des autres associations.
Quel est le bilan de l’association ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 40% des personnes sans abri accueillis trouvent un travail et 85% d’entre eux trouvent un logement autonome, dans les deux ans. Ces retombées sont rendues possibles grâce à la pédagogie que nous développons au travers de l’association. Les témoignages des personnes SDF sont beaucoup plus impactant que lorsque moi – ancien avocat de formation – je vais vouloir convaincre un sans abri de pouvoir l’aider. Lorsqu’ils échangent avec quelqu’un qui a connu un parcours similaire, ils vont pouvoir se rendre compte qu’il y a des solutions, en constatant l’évolution qu’a connu leur interlocuteur. Les anciens de Lazare, ayant trouvé un logement autonome ou un travail, reviennent, plutôt deux fois qu’une, faire un bilan et comme dans une famille, tout le monde est heureux et partage sa joie.
L’association est en phase de développement dans plusieurs villes de France. Quelle est votre stratégie de développement ?
Nous sommes aujourd’hui présents dans 7 villes de France ainsi qu’à Madrid et Bruxelles. Nous cherchons à ouvrir à Grenoble, Rennes, Bordeaux et Strasbourg. On souhaiterait également, ce n’est pas un objectif officiel, s’installer dans 5 capitales européennes à l’horizon de 2020. Le problème du mal-logement ne s’arrête pas au niveau national. Aujourd’hui on cherche des lieux à Rennes, Bordeaux et Strasbourg également. C’est un vrai défi de trouver de gros bâtiments, de grosses structures pour développer nos offres de logements. Surtout que notre association repose sur l’action citoyenne. Il y a des besoins dans tous les villes autant chez les jeunes actifs que chez les personnes sans abri. A l’heure actuelle, nous disposons uniquement de places disponibles à Lille et à Lyon.
La question de l’habitat ne se pose pas ici en termes d’accessibilité seulement, mais aussi en termes de processus d’insertion sociale. Votre but est-il de sortir d’une logique d’assistance pour se tourner vers une logique d’intégration et d’insertion sociale ?
Nous pensons que si les personnes sans domicile fixe ont besoin d’un toit, elles ont tout autant besoin de relations humaines. Nous apprécions les actions déterminées des pouvoirs publics pour lutter contre l’exclusion. Mais nous nous sentons aussi une responsabilité directe vis-à-vis de nos semblables qui sont à la rue, en souffrance, et nous savons que nous pouvons les aider. Nous choisissons de vivre ensemble avec eux, dans la simplicité, jour après jour. Mais il convient de préciser que c’est une réelle difficulté que l’association rencontre. Le « vivre ensemble », le partage au quotidien peut être difficile à gérer jour après jour. On choisit de vivre avec une personne que l’on n’a pas choisi. On choisit donc de vivre dans un certain inconfort, non pas au niveau du logement, mais dans le style de vie puisqu’on adopte une certaine sobriété. On choisit de vivre dans avec une personne qui a connu la galère. Les difficultés de l’un font grandir l’autre. Vous savez, 95% des personnes sans domicile sont en rupture familiale. Si vous leur demandez ce qu’est Lazare, ils vous répondront « c’est une famille ». C’est une fierté pour nous. Au-delà de quoi, cela démontre que notre action va plus loin que la question de l’accessibilité au logement, elle intègre une forte dimension de lien social, indispensable à l’intégration.
Est-ce que votre association comble un besoin que le gouvernement n’assumerait pas ?
Je ne dirais pas que le gouvernement n’assume pas ce besoin. Je ne me sens pas à même de juger l’action du gouvernement. Quant à Lazare, je pense que nous œuvrons différemment et tout ça en complémentarité. Le gouvernement œuvre dans l’urgence et nous dans la durée. Lazare axe plus sur le lien entre les personnes. On essaie de changer les mentalités des jeunes actifs qui auraient des préjugés sur les personnes sans domicile et inversement. Se détacher des préjugés est vraiment une valeur essentielle pour nous, et ça marche dans les deux sens. Je pense qu’on a besoin de logement d’urgence. Les personnes de la rue sont souvent victimes d’une rupture familiale forte ou ont un parcours de vie très difficile, au point que certains refusent même de se lancer dans un logement pérenne, (j’ai connu des refus). Ils préfèrent commencer petit à petit avant de se lancer dans la durée. Certaines personnes ne sont pas faites non plus pour être logées dans la durée. L’urgence est la première étape qui mène souvent à la deuxième, et plus importante : se reconstruire et se reconsidérer soi-même. C’est ce qu’on voit chez nous, les personnes retrouvent un minimum de lien social, réapprennent à s’aimer et donc se retrouvent (elles-mêmes) avant de retrouver un emploi.
L’association Droit au Logement (DAL) est notamment montée au créneau en décembre dernier en manifestant. Que pensez-vous de ce mouvement ?
C’est évidemment un sujet délicat car l’équation paraît simple : une personne à la rue + une chambre vacante = une personne logée. Malheureusement elle n’est pas si simple, car mettre une personne qui a un long parcours de rue seule dans un logement vacant du jour au lendemain sans accompagnement, comporte un risque important… d’échec. A Lazare nous travaillons sur un projet qui permettrait de résoudre durablement cette équation. Mais nous en sommes qu’aux prémices, alors nous continuons de travailler.
Les chiffres de 2017 sont tombés : 143.000 personnes sans-abri en France contre 141.500 en 2016. Avez-vous ressenti cette augmentation ?
Je ne me positionne pas sur les chiffres au niveau national, malgré une forte demande dans nos maisons et des listes d’attente de plus en plus longues. On peut en effet décider de se fixer sur ces chiffres et prendre peur en se disant « je ne peux rien faire pour loger 143.000 personnes sans abri». En revanche, je peux me concentrer sur une personne et l’aider à lui trouver un logement, se reconstruire et par la suite trouver un emploi si elle n’en a pas. C’est une goutte d’eau dans l’océan mais sans cette goutte d’eau, il n’y aurait pas d’océan.