Une augmentation en forte hausse des expulsions locatives

(Crédit : Eléonore Daviot)

Les expulsions locatives sont, d’après un rapport de la Fondation Abbé Pierre, en forte hausse avec une augmentation de 2,9% en 2018. Un chiffre qui ne prend pas en compte les familles partant avant l’arrivée des forces de l’ordre. Suite à cette augmentation significative, le gouvernement a proposé en septembre 2017 le plan quinquennal « logement d’abord ». Ce dernier est soutenu par la Fondation, cependant celle-ci propose également un « plan d’urgence » qui viendrait renforcer le plan du gouvernement. Marie Rothhahn, Chargée de mission action juridique au sein de la Fondation Abbé Pierre, a accepté de répondre à nos questions.

Comment pouvez vous expliquer cette augmentation significative ?

Marie Rothhahn : Il y a beaucoup de facteurs. Déjà, il y a une précarisation croissante des ménages. Neuf millions de personnes sont sous le seuil de pauvreté aujourd’hui. De plus en plus de personnes qui sont des travailleurs pauvres, de plus en plus de familles monoparentales, etc. On a une hausse du loyer et des charges qui est constante depuis pas mal d’années avec des dispositifs comme l’encadrement des loyers, qui devait avoir un impact assez intéressant sur la durée, mais qui a été remis en cause et qui maintenant n’est qu’une expérimentation. Une garantie universelle des loyers qui devait sécuriser aussi les menaces mais qui a été votée puis abandonnée.

Et puis on a, selon nous, plus largement ce qui touche à la politique globale du logement : insuffisamment de productions de logements sociaux, des coupes dans des aides personnelles aux logements et dans le financement du logement social qui ont aussi un impact très fort. Les aides personnelles au logement sont des facteurs essentiels pour permettre aux personnes de se maintenir dans les lieux. En matière de prévention des expulsions, on a une politique qui n’est pas suffisamment cohérente, pas suffisamment complète. Il faudrait une volonté des préfets (ils jouent un rôle important dans la prévention des expulsions et ne sont pas tous investis de la même manière), des vrais objectifs chiffrés de baisse des expulsions pour qu’il y ait une volonté politique locale d’enrayer ce phénomène.

Que pensez vous du plan « Logement d’abord », annoncé par le gouvernement en septembre, consacrant plus de moyens à l’aide au logement ? 

On est tout à fait favorables au plan logement. D’abord, nous avons même défendu cette idée et on s’en félicite. Pour nous, ce plan logement d’abord est global, et doit intégrer pleinement, comme le gouvernement le présente d’ailleurs, la prévention des expulsions. Permettre aux personnes d’accéder à un logement c’est intéressant. Permettre d’éviter de le perdre, c’est bien aussi, donc on s’en satisfait. Mais, parallèlement, on ne voit pas suffisamment de moyens et de volonté politique au profit de la prévention des expulsions, ce qui nous semble assez paradoxal, notamment des moyens financiers. C’est pour cela que nous réclamons depuis quelques mois un plan d’urgence.

Ce plan doit s’accompagner parallèlement vers la fin de l’austérité budgétaire en matière de logement parce que, sinon, on va permettre à certaines personnes au cas par cas d’accéder plus facilement au logement mais, d’un autre coté, on va baisser la production de logements social et très social alors que c’est le plus gros facteur permettant aux personnes d’accéder et de se maintenir dans un logement.

Qu’est-ce que le plan d’urgence que votre fondation propose ? Et quelle mesure contient-il ?

Ce plan d’urgence, c’est un plan à court terme. Il doit s’accompagner sur la durée d’une vraie politique ambitieuse mais, à court terme, nous demandons à minima 100 millions d’euros pour doubler les aides qui permettent de rembourser les impayés de loyer au propriétaire et donc d’arrêter la procédure. C’est le fond de solidarité logement, un fond qui a un impact direct sur le maintient dans les lieux. C’est essentiel, c’est géré par les départements, mais ce sont des fonds étatiques à la base. 

Il est essentiel de pouvoir l’abonder plus fortement, puisqu’il a un vrai rôle de prévention. Il est abaissé et géré selon des critères très disparates en fonction des départements, ce qui crée une inégalité entre les personnes et ce n’est pas acceptable. 

Nous demandons de tripler le fond d’indemnisation des bailleurs lorsque le concours de la force publique est refusé. C’est-à-dire lorsque le préfecture considère que la famille ne peut pas être expulsée parce qu’on attend une solution, parce qu’un relogement est prévu ou parce que l’expulsion aurait des conséquences dramatiques pour la famille. Dans ces cas là, les bailleurs peuvent demander à être indemnisés. Ce qui n’est que revenir au niveau de 2005. Les expulsions ont augmenté de près de 50% dans cette période là. On demande juste de revenir à cette époque là et non de faire des économies de bout de ficelle sur ces fonds qui on un impact essentiel.

Nous rappelons toujours que les procédures, les expulsions effectives, les conséquences des expulsions ont un coût important pour les dépenses publiques. Ce serait autant de coûts évités sans compter le coût social, le coût humain de la mise à la rue des personnes, avec une incertitude qui peut avoir des impacts dans le domaine du travail, de la scolarité, de la vie sociale, sur la santé psychologique des personnes. Une expulsion, ça a des conséquences durables pour les personnes.

En quoi consiste la plateforme Allo prévention, la Plateforme téléphonique de la Fondation Abbé Pierre ainsi que votre travail en temps que responsable de celle ci ? 

La plateforme Allo prévention a été créée il y a dix ans pour essayer de toucher les personnes qui sont confrontées à une procédure d’expulsion et qui ne savent pas vers qui se tourner. Elle vise donc à écouter les personnes, les informer, leur donner un certain nombre de conseils à partir de la situation qu’ils nous présentent et à les orienter vers des structures locales qui puissent les accompagner sur la durée. Bien sûr, l’idée sous-jacente, c’est également de les remobiliser. Quelles puissent se dire : « je peux me tourner vers des personnes qui peuvent m’aider, c’est important que je ne reste pas seul ».

Vous êtes au contact direct de ses personnes en situation précaire, quel est le sentiment des personnes qui font face à la procédure d’expulsion ? 

C’est souvent un sentiment d’injustice, parce que la majeure partie des impayés de loyer (principale cause des expulsions locatives: 95%) est généralement causée par un accident de la vie, une perte d’emploi, une séparation, le décès d’un conjoint, une maladie… Quand l’impayé de loyer vient s’ajouter à cette situation cela crée forcément un sentiment d’injustice. Les personnes ont souvent d’autres difficultés à gérer au quotidien (gérer un divorce, le chômage, une dépression, un cancer).

Les actes de la procédure d’expulsion viennent en plus, et cela vient apporter une angoisse forcément supplémentaire. Ce n’est pas toujours, sur le moment, la priorité des personnes qui sont sous l’eau, qui ne veulent pas voir la réalité en face ou qui n’ont pas d’énergie à consacrer à cette procédure parce qu’ils ont d’autres difficultés à gérer. Donc, tout est complexe, mais c’est surtout un grand sentiment d’injustice, d’angoisse. Nous avions fait une étude sur les conséquences psychologiques et sociales de l’expulsion. 

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