Obsolescence programmée : réparer pour mieux régner

(Crédit : Atelier Soudé)

Réparer devient un nouvel art de vivre pour de nombreux Français pour lesquels l’achat n’est plus la solution. En effet, un Français sur deux a déjà bricolé soi-même un appareil électroménager, selon la conclusion d’une enquête menée par Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie, (Ademe) sur le succès de l’auto-réparation.

Alors qu’M6 va bientôt diffuser une nouvelle émission axée sur le recyclage et la réparation d’objets, les Français sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à opter pour le raccommodage plutôt que pour le rachat. Une tendance teintée par l’envie de faire des économies et les inquiétudes générées par le réchauffement climatique. L’idée de durabilité s’ancre ainsi dans les esprits, portée par une prise de conscience citoyenne. 

Cet intérêt des consommateurs pour la durabilité s’exprime aussi au travers de la crainte et de l’agacement que suscite l’obsolescence programmée. L’insatisfaction est réelle : selon le magazine 60 millions de consommateurs, plus de 90% des gens pensent que la durée de vie des produits est limitée volontairement. De la même manière, si un produit est remplacé, c’est faute de pouvoir le réparer, principalement pour des raisons de coût, d’assistance extérieure ou de disponibilité des pièces. Or, d’après l’agence Ademe, 60% des Français qui réparent peu se déclarent prêts à changer s’ils disposaient d’un accompagnement et des matériaux nécessaires.

La durabilité tend ainsi à s’imposer comme un critère d’achat chez les Français. Ils sont ainsi 8 sur 10 (toujours selon Ademe) à considérer la réparation comme un mode de consommation d’avenir. En effet, la majorité d’entre eux la voit comme un moyen de prolonger la vie de leurs objets et donc, de faire des économies. La prise de conscience écologique, bien que prégnante, arrive dans un second temps.

Ce désir de conserver se traduit plus concrètement par des évolutions dans les modes de consommation. En effet, un des rapports de la société d’études IRI, relayé par Les Echos, affirme que la déconsommation devient manifeste et notamment dans les produits du quotidien. Le résultat finalement d’une volonté d’acheter moins pour consommer mieux.

Les associations, actrices d’une consommation responsable

De nombreuses associations ont déjà placé le concept de durabilité au cœur de leur engagement. C’est ainsi qu’Études et Chantiers Ile-de-France a mis en place des ateliers de recyclage et d’auto-réparation de vélo, SoliCycle. Implantés dans les quartiers populaires de la région parisienne, ils accompagnent chaque adhérent dans la réparation de son vélo, l’encouragent à plus d’autonomie et le guident vers une consommation durable et responsable. C’est aussi ce qui motive l’association Atelier soudé, basée à Lyon, qui compte déjà plus de 3870 réparations et 774 ateliers à son actif. Cette association lutte contre l’obsolescence programmée, les déchets électroniques et pour la réappropriation des appareils électroniques.

Leur point commun, c’est le concept d’auto-réparation. En effet, l’idée principale, c’est que le consommateur se réapproprie son outil électronique (téléphone, ordinateur etc.) en le réparant. « Souvent chez Darty, on vous dit que ce n’est pas réparable, alors les gens viennent chez nous et voient qu’en fait ça se répare », explique Clément Poudret, co-fondateur d’Atelier soudé. « C’est d’abord une question de conscience et d’implication dans la société dans laquelle on vit (…) c’est une question de choix, préférez-vous donner à une entreprise ou à une association ? », ajoute Elsa Weber, chargée de communication pour Études et Chantier. Adhérer à Solicycle, c’est donc s’engager à contre-courant d’un modèle de consommation qui devient obsolète.

C’est aussi la situation économique actuelle qui pousse le consommateur vers une alternative au rachat. Clément Poudret confirme que les ¾ des gens viennent pour « voir si les réparations sont moins chères que celles proposées par les grandes marques » Pour lui, « c’est la principale raison » qui pousse les gens à se tourner vers son association.

Si de nombreuses valeurs animent ces ateliers, l’autonomie reste au cœur des considérations. « Réparer à la place des gens ne leur rend pas service », selon Elsa Weber. Le but étant que les gens apprennent à le faire eux-même, qu’ils puissent se débrouiller seul. Avec l’auto-réparation, le consommateur comprend comment fonctionne son outil, « ils peuvent vraiment connaître leur appareil alors que les enseignes ne font que remplacer ou ne vous explique pas leur process » explique Clément Poudret. 

Tout en accomplissant un geste citoyen et écologique, ces associations luttent aussi contre l’obsolescence programmée. En tâchant de prolonger la durée de vie des objets, elles contrent les industries qui font en sorte que leurs produits ne soient pas réparables ou durables. 

En définitive, il s’agit de lutter contre le consumérisme que suppose (entre autre) l’obsolescence programmée, de rendre au consommateur son droit à un usage durable de ses biens. Réparer comme une alternative au rachat, s’unir pour une consommation responsable, c’est ce que prône aussi l’association Halte à l’Obsolescence Programmée qui œuvre pour mettre fin à l’obsolescence programmée. L’association promeut ainsi la durabilité et la réparabilité des produits en effectuant un travail d’influence auprès des instances gouvernementales et des industries. C’est d’ailleurs à l’issue de ses investigations qu’une plainte a été déposée contre Epson puis Apple. Depuis, Le Point et L’AFP ont révélé respectivement qu’une enquête préliminaire avait été ouverte à leur encontre, l’une par le parquet de Nanterre et l’autre par celui de Paris.

Comment durer : la loi s’en mêle

La durabilité des produits est par ailleurs devenue un véritable enjeu politique et prend désormais place dans le débat public.

Alors qu’en 2014, la durée légale de garantie à été allongée, une véritable étape a été franchie lorsque en 2015 a été créé le délit d’obsolescence programmée dans le cadre de la loi de transition écologique pour la croissance verte. On perçoit au travers de ces premières avancées législatives, le début d’une réflexion sur l’allongement de la durée de vie des produits de la part des pouvoirs publics. Ils y voient en fait, la possibilité de répondre à une demande citoyenne, tout en générant des externalités environnementales, sociales et économiques positives.

Le 24 septembre dernier, le projet de loi anti-gaspillage favorisant une économie circulaire a été débattu au Sénat. L’objectif étant de mettre en place d’ici 2021 un indice de réparabilité pour aiguiller les consommateurs vers le durable. Au travers de critères simples et transparents, le client pourra faire un achat éclairé grâce à une note attribuée au produit. Dans les faits, les grands distributeurs seront tenus de mentionner la durée de la disponibilité des pièces détachées.

Ce garde-fou juridique est un levier d’actions et d’initiatives puissant notamment pour faire évoluer le modèle économique des entreprises, souvent remis en question pour cause de course au profit et d’un manque de transparence envers ses clients. 

L’encadrement législatif a ainsi contraint les grandes entreprises à passer de la théorie à la pratique en développant un indice de réparabilité. Toutefois le Code de Consommation ne semble pas suffisant selon certaines associations comme l’Atelier soudé. Selon lui, l’encadrement devrait se faire au niveau mondial, ou déjà européen puisque « tous les composants ne viennent pas uniquement de France, le système législatif n’est pas suffisamment contraignant ».

Les grandes entreprises se lancent dans la distribution durable

L’implication des entreprises dans cette mutation de la consommation est nécessaire de par leur poids sur le marché et la demande croissante des consommateurs à acheter « du solide ». Cette adaptabilité s’inscrit aussi dans une stratégie de communication de ces entreprises qui veulent à tout prix retrouver la confiance de leurs clients et leur permettre de consommer à moindre coûts. 

À ce sujet, le groupe Fnac Darty propose depuis octobre dernier son nouveau contrat de confiance, Darty MAX, sous forme d’abonnement incluant réparation, assistance et bien d’autres avantages. Seul bémol, Darty ne réparera pas le petit électroménager, faute de pouvoir fournir les pièces, plus difficiles à trouver pour un mixeur que pour une machine à laver. Selon le groupe Fnac Darty « la durée moyenne de disponibilité des pièces détachées pour un sèche-linge est de 9,4 ans contre 3,1 ans pour une machine expresso à capsules ou 5,8 ans pour un aspirateur balais », même si le groupe tente d’étendre ce service pour éviter que le consommateur ait l’impression d’un service de réparation « à deux vitesses ». De même, l’accès à une assistance téléphonique par des techniciens Darty permet aux consommateurs d’envisager plus facilement l’auto-réparation, sachant où et à qui demander.

Pour éclairer leurs clients, le groupe de vente d’électroménager a aussi choisi de développer son propre indicateur de réparabilité, Labofnac, qui, bien que pratique, pose la question de l’objectivité des critères choisis. En effet, développé par le Labo, agence de communication spécialisée dans les relations publiques et commerciales, cet indice donne une note au produit. Cette note est fixée selon un ensemble de critères comprenant, entre autres, la possibilité pour les utilisateurs d’avoir accès à la documentation papier ou numérique afin de démonter et remonter sur produit. La difficulté plus ou moins importante de démontage de l’appareil est également évaluée. Vient ensuite le critère de modularité des éléments composants le produit, posant la question d’accessibilité au démontage. Autrement dit : s’ils peuvent être remplacés individuellement facilement ou non. Cet indice prend également en compte la durée de disponibilité des pièces détachées.

En plus de la tendance à l’auto-réparation, d’autres entreprises s’implantent sur un nouveau marché s’inscrivant dans cette optique. Ce dernier a vu le jour grâce au développement de l’imprimerie 3D. Des entreprises telles que 3D Imprime basée à Rennes ou encore Boulanger, qui a créé son service d’impression Happy3D proposent de fabriquer les pièces ou de prêter le matériel nécessaire à la réalisation de celles-ci. 

Ces entreprises s’emparent ainsi d’un marché en plein essor tout en évitant d’inciter à la surconsommation. Alliant profit et démarche éthique, elles tentent de s’adapter en s’alignant aux demandes des consommateurs et aux ordres législatifs. Cependant, ces entreprises attendent aussi des retours sur investissements.

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