Favoriser la cohésion des agriculteurs pour aider l’économie locale

(Crédit : Photothèque AT/ Flickr/CC)

L’agriculture française fait partie intégrante de notre patrimoine. Toutefois, les producteurs sont confrontés depuis des années par des problèmes financiers et environnementaux colossaux. Malgré tout, des associations et des entreprises se mobilisent pour recréer une économie locale et un dynamisme au cœur du territoire agricole français, tels que les boutiques de producteur, les AMAP ou les collectivités territoriales. 

« L’agriculture française est la plus durable du monde pour la troisième année consécutive », se félicite le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume, lors d’une interview sur France Inter, mercredi 30 octobre, s’appuyant sur un classement révélé dans l’hebdomadaire britannique, The Economist, en 2018. A cette occasion, chercheurs, journalistes et économistes ont distingué les différents modes de production et de consommation dans le secteur agricole de 67 pays du monde. Certes, cette annonce est encourageante pour les producteurs français mais ne suffit pas à calmer la colère encore présente chez les agriculteurs. Ainsi se pose la question, le modèle actuel agricole ne serait-il à bout de souffle ?

Cette question, les agriculteurs se la pose quotidiennement. La Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) a fait pression auprès des acteurs de la grande distribution pour plus d’équité dans le rapport avec les exploitants. Mise en vigueur le 1er novembre 2018, la loi EGALIM, envisage dans un premier temps une rémunération plus juste pour les agriculteurs avec une meilleure répartition de la valeur marchande, et dans un second temps une meilleure accessibilité de produit de qualité pour les consommateurs. Cependant, cette aide gouvernementale n’a pas réjoui tous les paysans. Malgré l’aide européenne de la Politique Agricole Commune (PAC), le revenu des exploitants reste toujours faible. Le président de la chambre d’agriculture de la Côte d’Or, Vincent Lavier, avait insisté à l’antenne de France Bleu Bourgogne que « sans les aides de la PAC, les agriculteurs seraient dans le rouge et ils ne pourraient pas manger ».

Prenons un exemple concret, « un producteur laitier vend 34 centimes son litre de lait, la grande distribution le met en rayon à hauteur de 1€ de litre », selon les propos du ministre de l’Agriculture. La répartition est inégale et les agriculteurs « en ont marre ». Il faudrait que le litre soit « vendu à hauteur de 39 centimes, pour qu’il puisse devenir rentable pour les producteurs laitiers », précise-t-il. Malgré ce discours de soutien apparent, les producteurs laitiers ont dénoncé le laxisme du gouvernement. Le 3 octobre 2019, des agriculteurs et la Coordination rurale ont demandé, lors du Sommet de l’Élevage, que le ministre, Didier Guillaume, réagisse concrètement avec des actions visibles pour l’avenir de leur métier.

Au delà de la question de la rémunération, les agriculteurs sont également touchés par de nombreux autres problèmes. Ainsi, le changement climatique impacte le niveau des récoltes et des plantations et participe à la sécheresse de terres surexploitées. Par ailleurs, l’endettement croissant des agriculteurs devant réaliser des investissements colossaux afin d’entretenir leur exploitation pour conserver de la compétitivité n’arrange rien au tableau. Des problématiques aux conséquences parfois dramatiques. Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), 605 exploitants se sont suicidés durant l’année 2015, soit environ deux par jour !

Le succès des circuits courts

Cependant, certains agriculteurs tentent de pallier à ce dérèglement financier et à ses conséquences sociales en modifiant leur circuit de distribution. Ainsi, la vente directe à la ferme semble résoudre certains problèmes. Marchander ses produits aux consommateurs directement sur son exploitation est bénéfique pour l’exploitant : aucun transport, des produits frais et la création d’un lien social. Trois points fondamentaux qui remettent à l’honneur le travail des agriculteurs, à travers notamment la création de lien social et permettent aux consommateurs d’obtenir des produits sans intermédiaire commerciaux.

Les Marchés de Producteurs de Pays se développent depuis quelques années dans les milieux ruraux, et depuis peu en ville. Créés par la Chambre d’Agriculture, ces évènement regroupent uniquement des producteurs locaux afin de valoriser les richesses territoriales de notre pays. Ces marchés permettent d’avoir un contact direct avec le producteur, de consommer des produits de saison et locaux et d’avoir une totale transparence sur le mode de production. La Dordogne est l’un des principaux départements français où les marchés de producteurs de pays sont un réel succès. En 2018, environ 400 marchés ont été organisé avec la Chambre d’Agriculture du Périgord.

(Crédit : Olivier Cochard)

Cette réussite incite à la montée en puissance des modes de vente directe qui reviennent progressivement dans nos habitudes de consommation. Avec le développement des grandes industries agro-alimentaire françaises dans les années 60, la part des produits du terroirs ont baissé dans nos assiettes mais depuis quelques années, les magasins de proximité associatif se créent de plus en plus, en zone rurale, mais également, depuis peu, en zone urbaine.

Regrouper des agriculteurs du coin dans une boutique, c’est le défis de quelques producteurs français. « En 2012, avec quatre autres agriculteurs du Périgord, nous avons décidé de créer notre boutique de producteur, car nous avions envie de fixer nous même nos prix et de maintenir une activité sur notre territoire », précise Patrica Rebillou, productrice de fraise dans la boutique de producteurs Escale à la ferme à Port-de-Couze et présidente de l’association des producteurs des fraises de la Dordogne. Ici, les clients sont amenés à rencontrer les agriculteurs participant à la vie de ses magasins et de trouver tous les produits nécessaires dans un seul et même lieu. « Notre clientèle se rend compte qu’il y a toute une activité agricole territoriale autour de chez eux et en plus à des prix raisonnables et de toute fraîcheur », affirme Patricia Rebillou.

Les AMAP, un modèle en plein explosion

Une autre solution est importé tout droit du Japon. Le concept des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) consiste à créer un lien entre les consommateurs et les agriculteurs. Entre eux, ils passent un contrat où le producteur s’engage à produire une certaine quantité à son client chaque semaine. Ensemble, ils établissent les variétés de denrées de saison : fruits, légumes, viande, produits laitiers etc. De l’autre côté, les consommateurs s’organisent entre eux pour confectionner les paniers une fois par semaine. C’est en 2001, que ce phénomène apparaît en France et la première fut implanté en périphéries de Toulon. En seulement 5 ans, cette AMAP a permis de redynamiser tout le secteur agricole local.

Aujourd’hui, il existe en plus de 2 000 en France. « Je fais parti des AMAP depuis 2018 et je suis fière de cultiver mes légumes tout en respectant la terre. Pour ma production, je n’utilise aucun produits chimiques », explique Luc Gruniaux, agriculteur à Château-Thierry, dans la région Hauts-de-France. Tous les agriculteurs des AMAP sont certifiés par le label Agriculture Biologique. En effet, les producteurs s’inspirent du modèle de la charte de l’agriculture paysanne et du cahier des charges de l’agriculture biologique, pour rester dans une démarche équitable. 

La solidarité dans les AMAP est l’un des souhaits majeurs de ce système. « Les consommateurs sont très satisfaits par ce dispositif. De plus, j’ai la garantie d’avoir chaque mois un revenu fixe grâce au contrat. Je propose également aux consommateurs de venir une fois par an sur mon exploitation afin qu’il découvre tout le processus de production », argumente Luc Gruniaux.

Le prix du panier est convenu entre l’agriculteur et les consommateurs en tenant compte de toutes les charges nécessaires pour cultiver les produits ainsi que du salaire du paysan. « Je vends mon panier de saison du mois d’octobre qui contient des pommes de terre, des poivrons, des tomates, des oignons, des aubergines, de la salade, des œufs bio, pour un total de 16 €. En comparatif, on trouve le même panier sur le marché pour 23 euros environ », déclare Luc Gruniaux. 

Néanmoins, que se passe-t-il si le contrat n’est pas respecté ? La chargée de mission du réseau AMAP, Mathilde Szalecki, affirme que « la structure prend en charge les problèmes rencontrés avec les commandes et même les complications que peuvent rencontrer les agriculteurs dans leur production. Nous sommes là pour mettre en cohérence tout le bon fonctionnement de ce service ». 

Cependant, « il y a un manque considérable de producteurs biologiques en Île de France », s’exclame Mathilde Szalecki. Pour résoudre ce malentendu, l’association Abiosol, en partenariat avec le réseau AMAP, propose une formation pour les personnes intéressées par le métier d’agriculteur et permet d’accompagner l’installation des nouveaux paysans en Île de France. Il existe aussi une confusion avec des consommateurs qui rejoignent les AMAP. Certains ne comprennent pas que derrière il y a un engagement à tenir. Ils doivent s’organiser et participer à la vie de leur AMAP et venir toutes les semaines pour préparer les paniers.  

Des entreprises qui s’engagent dans une agriculture durable ? 

Depuis quelques années, des entreprises, engagés dans le circuit court, ont fleuri dans le paysage commercial. La Ruche qui dit oui en fait partie en France et en Europe. Créée en 2010, cette plateforme soutient les agriculteurs, en commercialisant leur produit, sur leur site internet et sur leur application mobile. La Ruche qui dit oui repose sur un système de marché éphémère. Les acheteurs commandent leurs produits en ligne et viennent les retirer dans les ruches, installés dans toute la France. Les installations sont gérées indépendamment par un responsable de ruche. L’entreprise a engagé depuis sa création plus de 1500 salariés pour chaque ruches installées.

Laurent Marcoz, responsable d’une ruche dans le 9e arrondissement de Paris, insiste sur l’aspect social de ces installations. « Au-delà de l’aspect alimentaire, où chacun vient chercher sa commande, les distributions permettent aux acheteurs de rencontrer les producteurs et ainsi d’échanger avec eux. Il y a un vrai lien social entre tous les intervenants. En discutant avec les agriculteurs, les consommateurs se rendent compte des problématiques économiques actuelles ».

La Ruche qui dit oui (Crédit : Thomas Louapre)

Cette notion d’indépendance de chaque ruche pose certaines limites, notamment celle de l’éthique. Chaque responsable décide de la gestion de sa ruche. Il peut proposer aux clients des produits identiques mais de producteurs différents. 

Yves de Fromentel, fromager du domaine de Beaulieu, en contrat depuis 3 ans avec la Ruche qui dit oui, met en lumière ce problème. « La Ruche qui dit oui, est une très bonne initiative, cependant il y a un manque de cohérence entre toutes les ruches. Étant donné que toutes les ruches sont indépendantes, certains responsables sont là pour faire de l’argent. Il faudrait une uniformisation des règles de gestion des ruches ».

La Ruche qui dit oui possède un modèle économique particulier, loin des standards des grandes industries capitalistes. Chaque producteur fixe lui-même le prix de ses produits. L’entreprise se rémunère d’une commission qui se divise en deux parties : une pour le responsable de la ruche et l’autre pour l’entreprise. Pour Laurent Marcoz, le revenu des responsables de ruche est très aléatoire et dépend de chaque installation. « À la base, cette rétribution doit servir aux responsables pour s’acheter des paniers au sein de la ruche. En partant sur une moyenne de 50 € à 100 € le panier par semaine, les responsables sont censés toucher entre 200 € et 500 € par mois. Mais aujourd’hui on voit que certains responsables peuvent gagner plus de 1500 € lors de mois plein ».

Yves de Fromentel y voit lui une sorte d’inégalité salariale entre le producteur et le vendeur. « C’est un peu la même problématique qu’avec les grandes surfaces. Aujourd’hui, les responsables sont assis dans leurs bureaux et vendent nos productions. Certains gagnent mieux leur vie que nous, c’est parfois difficile à accepter. Cette inégalité est moins présente avec La Ruche qui dit oui, mais elle existe quand même ». 

Une commission qui ne réjouit pas les agriculteurs

En décembre 2018, la société française plafonnait à hauteur de 16,7 % sa commission. Néanmoins, depuis 2018, elle a atteint le seuil des 20 %, soit une augmentation de 3,3 %. Ce nouveau pourcentage est réparti dans deux secteurs : 8,35 % sont dédiés au responsable de ruche pour l’organisation des ventes et le reste est redistribué à l’entreprise.

Une augmentation qui n’est pas du goût de Yves de Fromentel. « Cette hausse de 3,3% nous contraint à augmenter nos prix. Au final, cela retombe sur le client, il doit payer plus cher ses produits. Notre but ce n’est pas de faire payer à notre clientèle des produits plus chers. On veut que nos clients consomment nos produits au prix le plus raisonnable possible ». 

Cette augmentation pose certaines questions et notamment celle du profit. Pourquoi une entreprise qui s’engage dans le circuit court et la vente directe augmentent ses frais de service ? Pour Grégoire de Tilly, PDG de la Ruche qui dit oui, cette question n’a pas lieu d’être. « Poser la question du profit pour notre entreprise, c’est ne pas connaître ni comprendre notre fonctionnement. Nous avons augmenté notre commission pour la viabilité économique de l’entreprise. Notre ancien modèle économique ne nous permettait pas de subvenir convenablement au besoin de notre société ».

Ces différents modèles agricoles sont connus depuis plusieurs  années. Certains ont flairé l’opportunité de se faire un business derrière l’agriculture durable, et de l’autre côté, des agriculteurs qui souhaitent rester indépendant. Comme le disait Hippocrate « nous sommes ce que nous mangeons ». 

Article réalisé par Alice Gondonneau, Clément Gay et Yuliia Ovchinnik

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