Un quatrième plan pour lutter contre le chlordécone dans les Antilles

Le chlordécone a été principalement utilisé pour lutter contre le charançon noir du bananier (Crédit : Pixabay)

Entre les années 1970 et 1990 aux Antilles Françaises, un pesticide toxique a été pulvérisé sur les bananiers. L’impact sur l’environnement est catastrophique. Aujourd’hui, les terres, les rivières, ainsi que la population antillaise en subissent de graves conséquences. Le gouvernement a annoncé la mise en place d’un nouveau plan en 2020.

« Demandez aux morts empoisonnés. Ils diront ce qu’ils ont subi »… c’est l’une des réponses d’un habitant aux questions sur les pesticides à la Martinique et en Guadeloupe. La phrase décrit bien la gravité de la situation pour beaucoup de familles des îles, ainsi que la rancœur des gens face aux conséquences de l’utilisation du pesticide.

Le chlordécone est un pesticide toxique, dont l’effet sur le corps humain est associé notamment à l’apparition de cancers. Dans les Antilles françaises, il a été utilisé jusqu’en 1993 malgré le fait que son impact négatif sur la santé et la pollution des terres avait été prouvé par les Américains et de ce fait interdit aux États-Unis dès 1976.

L’État français a eu recours à ce pesticide pour détruire le charançon noir du bananier, un insecte qui détruit la plante de l’intérieur, et ainsi sauver la principale ressource économique des îles.  Président de l’association « Les Verts Guadeloupe », Harry Durimel, dans son parcours « Chlordécone: nous exigeons justice-transparence-verité » clarifie que « l’usage du chlordécone a été définitivement banni en 1990 en France métropolitaine. Les préparations à base de chlordécone n’ont été interdites d’usage dans nos deux régions qu’en 1993, suite à deux arrêtés ministériels qui ont autorisé les importateurs des Antilles à continuer à vendre et utiliser du chlordécone pour écouler leurs stocks. »

Mais il y a toujours un prix à payer. Ici, ce sont des terres qui sont polluées pour des siècles, y compris des rivières et des zones maritimes. En découle une partie du bétail et de la volaille contaminées, des légumes-racines infectés et les poissons sont aussi affectés près du rivage.

Le chlordécone est donc de fait présent dans le corps humain et présente des risques sanitaires élévés. La Martinique détient le record mondial du nombre de cancers de la prostate, avec 227,2 cas sur 100 000 hommes chaque année. « L’Expertise collective de 2013 avait estimé qu’il existait une présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate », a révélé une étude de Centre international de la recherche sur le Cancer (CIRC).

Les victimes principales du chlordécone sont des travailleurs qui ont été en contact avec ce pesticide et avec la terre polluée. Après, ce sont les consommateurs et plus généralement les citoyens des Antilles françaises.

Manger local sans chlordécone, c’est possible ?

« C’est assez compliqué. J’essaie d’acheter du bio, mais c’est très onéreux ici, donc ce n’est pas accessibles à toutes les bourses malheureusement. J’évite des produits cultivés ici ou seulement s’ils indiqués « garantie sans chlordécone », raconte Lucie, qui vit en Martinique depuis 7 ans.

« Comme c’est une Île, tous les produits importés sont taxés. On te dit de manger sainement, mais la nourriture est assez chère. Alors, beaucoup de gens mangent du poisson, des légumes, des fruits locaux», explique Sébastien, dont son père est originaire.

En ce qui concerne l’eau, les habitants des îles ont deux solutions principales. Il y a ceux qui en achètent en bouteilles d’importations et ceux qui utilisent une gourde filtrante permettant de rendre l’eau potable et surtout de retirer les pesticides (et donc le chlordécone) grâce au charbon actif qu’elle contient.

La marque « La Banane Française », cultivée en Guadeloupe & Martinique, prétend faire partie de la gamme premium. Pourtant, Philippe Verdol, président de l’Association EnVie-Santé dans son interview à « Politis »  s’appuie sur une étude de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) dans laquelle « les chercheurs indiquaient avoir trouvé 17 µg de chlordécone par kilo de matière fraîche. La tolérance de précaution pour les fruits et légumes d’agriculture tempérée en Europe était fixée à 10 µg ».

Cela signifie que les risques sanitaires ne s’appliquent pas aux seuls résidents des îles mais à tout consommateur de ces bananes, qui sont majoritairement les Français de métropole : 44% des bananes débarquées dans les ports françaises proviennent de la Martinique.

Parmi les autres conséquences de la pollution au chlordécone, il y a aussi son impact économique. Les autorités ont interdit la pêche près de la côte, ce qui augmente encore les difficultés pour les pêcheurs de vivre de sa pêche. Vu que la grande partie des terres agricoles sont polluées, cela oblige les agriculteurs à arrêter la culture de certains végétaux et à introduire un système d’élevage hors-sol, plus simple à mettre en place pour la volaille que pour le bétail toutefois.

L’Etat, «premier responsable» de la pollution aux Antilles ?

Ce sont les conclusions d’un rapport amené par la commission d’enquête parlementaire suite à une visite en 2018 d’Emmanuel Macron en Martinique où il a qualifié la situation de «scandale environnemental». L’État a trop longtemps favorisé la culture de la banane malgré le danger connu du pesticide, au détriment de la santé des populations locales et de la nature.

Depuis 2008, plusieurs « plans chlordécone » ont été mis en place afin d’endiguer la catastrophe. Néanmoins, ils semblent peu adaptés face à l’urgence selon le rapport qui les juge « insuffisants, sous-dimensionnés, peu adaptés, peu connus et peu dotés financièrement ».

La commission exige que l’État assume ses responsabilités en prenant mieux en charge les malades notamment en créant des mesures de réparations et d’indemnisation aux victimes et agriculteurs, mais aussi de financer les recherches sur la dé-pollution. En 2020, un quatrième plan chlordécone est attendu.

Toutefois, les habitants des îles sont inquiets. Harry Durimel, qui depuis 2002 se bat pour que l’État reconnaisse sa responsabilité d’empoisonnement des îles et qu’il agisse, affirme que le discours officiel tangue entre reconnaissance de la gravité du phénomène et dédramatisation : « Depuis quelque temps, pour décrédibiliser notre militantisme, les autorités ne parlent que de « la chlordécone » dans les médias, comme pour faire croire que nous ne savons même pas de quoi nous parlons. Mais dans tous les documents officiels, depuis l’origine jusqu’à notre dépôt de plainte il a toujours été question de LE chlordécone. A partir de notre dépôt de plainte ils ont commencé à dire « LE » pour créer un embarras dans l’usage du nom de ce poison» .

Les citoyens des îles attendent des actions concrètes pour la dépollution des terres et l’indemnisation pour ceux qui étaient touchés par le chlordécone. « Pour moi, les plus gros problèmes sur l’île qu’il faut régler avant tout sont la qualité et le prix de l’alimentation, et aussi la qualité des soins médicaux (vieux matériel etc), et de la pollution, bien sûr», explique Lucie. « On veut voir des actions, on veut voir des excuses, on veut voir la participation aux questions sur les réparations », exprime de son côté sur sa chaîne YouTube l’activiste Shatta.

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