Au travers d’un concours national, la « Fondation la France s’engage » (FFE) récompense chaque année les projets les plus innovants de l’Économie sociale et solidaire. Sur un modèle semblable aux accélérateurs de startups, les lauréats bénéficient d’une dotation financière et d’un mécénat de compétences pour assurer leur développement. L’Essentiel a rencontré Nils Pedersen, responsable Concours et Partenariats de la FFE et échangé avec deux lauréats du concours 2017, l’Association VRAC et la SAS Zéphyr Solar, pour comprendre comment les acteurs institutionnels, associatifs et privés s’unissent pour promouvoir l’engagement.
Le 24 janvier 2018 a marqué l’ouverture d’une nouvelle session de candidatures pour le concours national La France s’engage. Initié par François Hollande en 2014 – aujourd’hui Président de la Fondation la France s’engage (FFE) – le programme a pour vocation de promouvoir l’engagement et de « faire bouger » la France. Le concours récompense ainsi les projets les plus innovants et solidaires parmi une centaine de dossiers. Associations, fondations, fonds de dotation et entreprises de l’économie sociale et solidaire avaient jusqu’au 21 février, 18h, pour déposer leurs candidatures. Seule condition requise, disposer d’un budget annuel de fonctionnement minimum de 100 000 €. “L’objectif du concours national est de donner aux porteurs de projets les moyens d’assurer leur changement d’échelle. Il est donc primordial que l’action portée ait déjà été testée et son impact mesuré à petite échelle”, explique Nils Pedersen, responsable Concours et Partenariats de la Fondation la France s’engage. A l’issue des trois phases de sélection du concours, les 10 lauréats sélectionnés par le jury bénéficient d’une dotation financière allant de 50 000 € à 300 000 €, d’un accompagnement adapté pour assurer le changement d’échelle de leur action ainsi que l’attribution d’un label ESS, attestant de l’utilité sociale du projet. Depuis son lancement, le programme a généré plus de 40 millions d’euros de subventions pour accompagner les 93 lauréats. D’après la FFE, 3 400 000 de bénéficiaires ont été directement touchés par les projets labellisés.
Être capable d’assurer son changement d’échelle
Pour la startup Zéphyr Solar, le concours était l’occasion de récolter les fonds nécessaires à l’industrialisation de son prototype. La jeune pousse a été reconnue d’utilité sociale pour avoir développé un concept de ballon photovoltaïque. Le dispositif permet de déployer une électrification hors réseau facilitant notamment l’intervention humanitaire dans des situations d’urgence. Après avoir été recalée au premier tour du concours en 2016, la jeune pousse a tenté sa chance à nouveau en 2017. Sa persévérance a été récompensée puisqu’elle a été sélectionnée parmi les 12 lauréats du concours national 2017.
“En 2016, nous avons été écartés dès le premier tour, sans avoir trop d’explications. On avait l’impression que le jury était plus sensible aux actions d’associations qu’aux projets portés par des entreprises d’utilité sociale”, raconte Julie Dautel, co-fondatrice de Zéphyr Solar. La SAS reconnue d’utilité sociale et déjà labélisée ESS dans ses statuts, a été sélectionnée aux côtés de neuf autres lauréats le 15 décembre 2017. La finale s’est déroulée à la Station F, incubateur de startups créé par Xavier Niel, PDG d’Iliad. Depuis son lancement, le concours était géré par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. En mars 2017, le programme est devenu une fondation reconnue d’utilité publique : la Fondation la France s’engage, dont le siège est basé au sein de la Station F.
Mais pour Nils Pedersen, ce changement n’a pas eu d’impact sur la méthode et les critères de sélection des candidats au concours. “La notion d’entrepreneuriat social était déjà parfaitement intégrée par le programme. Je ne pense pas que le recalage de Zéphyr Solar en 2016 ait un lien avec le fait que la structure soit une SAS. HelloAsso, le premier lauréat du concours en 2014, était aussi une SAS de l’ESS. Encore une fois, il est important d’insister sur la capacité de changement d’échelle”, explique-t-il. Sans vouloir parler au nom des équipes du ministère, le responsable du concours actuel a suggéré que le projet porté par Zéphyr Solar était peut-être encore trop au stade d’idée en 2016. “Si un projet n’a pas cette capacité et cette volonté d’être essaimé sur d’autres territoires, il est inutile de candidater au concours”, témoigne Boris Tavernier, directeur de l’Association VRAC. L’association figure aussi parmi les lauréats du concours national 2017 pour son réseau d’achat en commun de produits bio à prix solidaire, développé en agglomération lyonnaise.
En janvier 2017, Zéphyr Solar avait mis au point un prototype de panneaux photovoltaïques grâce à plusieurs campagnes. La jeune pousse de l’Économie sociale et solidaire avait également pu tester son concept, lors du premier vol de son dispositif de ballon solaire au mois d’avril. A l’automne, elle entame une campagne participative via Sowefund visant à récolter 500 000 euros. Les recettes de la levée de fonds lui permettront, en plus des 150 000 euros accordés par la FFE, de faire breveter son dispositif afin d’en développer une version industrielle. Cette série d’expérimentations et la volonté de développement à grande échelle n’avait pas eu lieu lors de la première candidature de Zéphyr Solar au concours en 2016. Au-delà de l’impact social du projet, ils constituent cependant des critères de sélection importants aux yeux du jury, ce qui a probablement favorisé sa victoire en 2017.
6 prix pour élargir les champs d’action du programme
Si la transition du programme vers la FFE n’a pas impacté les modalités de sélection du concours, elle a entraîné néanmoins des changements au sein de la structure. Le conseil d’administration de la fondation, composé de 4 membres fondateurs privés, 3 partenaires institutionnels et d’un groupe de personnalités qualifiées, a affirmé sa volonté d’élargir les champs d’action du programme d’accompagnement. Après concertation, quatre nouveaux concours ont été imaginés : un prix pour les start-up, une filière dédiée aux projets de structures situées dans les Outre-Mer, une récompense pour les organismes publics ainsi qu’un prix international. “Les modalités du prix international ont été définies en partenariat avec le ministère de l’Europe et l’Agence française de développement. Le concours récompensera des projets de l’entrepreneuriat féminin reconnus d’utilité sociale”, explique Nils Pedersen. Une fois ces prix mis en place, la FFE ouvrira également un concours dédié aux projets culturels solidaires.
Si les critères de sélection retenus sont les mêmes que pour le concours national, les modalités de l’accompagnement diffèrent. “Les start-up d’utilité sociale et les structures d’Outre-Mer ont la possibilité de candidater à leur filière dédiée, mais aussi au concours national. Il était donc logique que l’accompagnement imaginé pour le prix start-up ou la filière Outre-Mer ne soit pas le même que pour le concours national”, précise Nils Pedersen. Les modalités de l’accompagnement pour les prix International et Organisme public doivent encore être affinées dans les prochains mois. D’après le responsable des concours, les nouveaux prix devraient être lancés à la mi-2018. Au travers de ces différents programmes, la volonté de la FFE reste de donner les moyens aux acteurs de l’innovation sociale d’assurer leur changement d’échelle. “Si l’on compare le programme aux modèles existants de l’économie marchande, la FFE se positionne davantage comme un accélérateur de l’innovation sociale qu’un incubateur. Le fait d’exiger une preuve d’efficacité de l’action à petite échelle, est en quelque sorte l’équivalent du POC (Proof of Concept, en anglais), la validation du business model, indispensable pour intégrer un accélérateur de startups par exemple”, explique Nils Pedersen.
Au travers des différents programmes, l’objectif pour la FFE est d’apporter des solutions pour répondre aux défis sociétaux et environnementaux universels, les ODD, pour lesquels les 193 États-membres de l’ONU se sont engagés en 2015. Une tâche qui incombe autant aux institutionnels et associations, qu’aux entreprises. Dans cette logique, la FFE a décidé d’élargir les champs d’action du programme d’accompagnement et proposera en définitive six concours.
Quand Business rime avec ESS
La typologie de soutien proposée par la FFE se distingue du modèle philanthropique adopté par la majorité des fondations. “Pour chaque euro donné, le lauréat reçoit un équivalent en accompagnement de la part de l’ensemble des parties prenantes de la FFE”, explique Nils Pedersen. Les lauréats peuvent ainsi bénéficier de l’expertise et de l’accompagnement des salariés de Total, Andros, BNP Paribas ou Orange sur des problématiques RH, financières ou logistiques par exemple. Les partenaires institutionnels mettent aussi leurs compétences à disposition sur les questions d’essaimage territorial par exemple. Bien que les modalités de l’accompagnement soient encore en cours de structuration, pour le responsable des concours et partenariats le programme de la FFE est un modèle assez unique en France.
Autre particularité, le fonctionnement en promotion. Avant de débuter le programme d’accompagnement, les lauréats du concours participeront à un séminaire d’intégration au début du mois de mars 2018. “L’idée est de travailler en promotion pour créer des synergies pouvant déboucher sur des collaborations et des partenariats entre lauréats. Ils peuvent également s’inspirer mutuellement ou s’entraider, qu’importe leur statut. C’est une condition indispensable pour entreprendre efficacement”, ajoute Nils Pedersen. Cette méthode est également adoptée par les incubateurs et accélérateurs de startups, propre à l’économie marchande. Sans cette d’hybridation dans le mode de fonctionnement du programme, il est impossible pour la FFE de répondre à son objectif de promotion et de développement de l’innovation sociale.
Au-delà de l’approche spécifique, le type de structures figurant parmi les lauréats prouve aussi que l’on peut associer un projet d’utilité sociale à un modèle économique viable. Si le concept de ballon photovoltaïque développé par Zéphyr Solar facilite l’intervention humanitaire d’urgence, il intéresse aussi des acteurs de l’économie marchande. Par son aspect innovant, le ballon photovoltaïque trouve ainsi des champs d’applications dans les télécoms et la sécurité aérienne par exemple. La start-up ne communique cependant pas encore sur ses cibles commerciales, mais elle a déjà pensé à son modèle économique. Il repose sur l’industrialisation du produit et pourrait évoluer sur une offre de leasing à terme. “Les frontières s’effacent, ce n’est plus noir ou blanc. Il faut faire appel au secteur privé et saisir les marchés rémunérateurs pour atteindre l’impact social souhaité. Impossible autrement de grandir dans des conditions de rentabilité financière”, raconte Julie Dautel, co-fondatrice de Zéphyr Solar. La rentabilité financière du projet ne prend cependant pas le dessus sur son aspect solidaire. Outre les 51% des dividendes réinvestis au profit du développement de l’entreprise, les dirigeants de Zéphyr Solar s’engagent aussi à ne pas percevoir un revenu qui soit 9 fois supérieur au salaire le plus bas dans la société. Des conditions inscrites dans les statuts de la SAS reconnue d’utilité sociale.