Qui ne se souvient pas du film La Haine, et de la fameuse scène où un des trois personnages principal, Hubert, joué par Hubert Koundé, compare son quartier au zoo de Thoiry lorsque des journalistes tentent de les interroger depuis leur voiture banalisée ? Cette scène illustre ce que peuvent ressentir certains des habitants de ces quartiers. Des quartiers trop souvent qualifiés de « sensibles » et victimes d’un traitement médiatique parfois injuste, partiel et incomplet. Face à cela, de nouveaux médias et écoles de formation voient le jour avec comme enjeu principal la réappropriation de leur histoire.
Le 13 juillet dernier, une dizaine de personnalités ont signé une tribune dans le Journal du Dimanche pour appeler à un meilleur traitement médiatique des banlieues. Les signataires reprochent aux médias d’être trop souvent restés figés dans un passé où « banlieues » ne riment qu’avec émeutes, violences, délinquance. « Il est temps de raconter la vérité dans toute sa complexité loin des caricatures pour soutenir et encourager l’action et le mouvement de fond qui s’est mis en place. », affirme la tribune.
A travers cet appel, les personnalités demandent un traitement plus juste de ces quartiers. Certes, les médias doivent couvrir les faits divers, trop souvent négatifs, dans ces territoires mais aussi revenir aux racines de cette situation. Aussi, ils invitent à mettre plus en lumière la manière dont les différents acteurs dans ces quartiers se réapproprient la politique de la ville afin d’améliorer leur situation. En rappelant que les banlieues ne sont pas seulement vectrices d’insécurité ou de peur, et accueillent une jeunesse riche en ambition et projets, parfois trop découragée.
Une tribune qui ne met pas tout le monde d’accord
Parmi les signataires de cette tribune, Guillaume Villemot, fondateur de Bleu Blanc Zèbre, un mouvement citoyen qui agit pour une « co-construction » dans les quartiers politique de la ville (QPV), et un des porteurs du projet de l’@gence².
Selon lui, les médias ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Néanmoins, ils ont un rôle d’information auprès des citoyens. Ce sont eux qui mettent en lumière ces quartiers. Et parfois, par manque de temps, ils racontent ce qu’il s’y passe en établissant des raccourcis qui participent davantage à leur stigmatisation. Les journalistes ne peuvent pas traiter ces sujets d’actualités uniquement en exposant les faits. Il est vital de revoir le rapport au temps, revenir dans le passé pour expliquer comment la France en est arrivée à ces faits divers.
« [les journalistes et médias] ne s’y intéressent pas comme étant n’importe quel autre territoire. », explique Guillaume Villemot . Une rentrée des classes ou le premier jour des soldes ne sera que très rarement raconté dans les banlieues. Lorsqu’on parle des banlieues, c’est trop souvent pour pointer du doigt une situation où les habitants vont mal.
Au contraire, Paul Sugy, journaliste au Figaro, n’aurait pas signé cette tribune. Le traitement médiatique dont font l’objet les quartiers ne le choque pas et estime que cela dépeint une réalité. Par ailleurs, il nuance les propos de cette tribune en expliquant qu’au contraire, la couverture médiatique se serait adoucie depuis 2005. 2005, une période marquée par le quinquennat de Sarkozy et trois semaines d’émeutes, où, selon lui, l’on observait dans les médias « une vision assez apocalyptique des banlieues. »
Paul Sugy ajoute également qu’une grande rédaction, comme celle du Figaro, ne peut pas couvrir tous les faits divers positifs. « C’est certain qu’on a un effet de loupe, un effet grossissant sur les faits divers particulièrement graves et violents. Ça c’est normal. Quand on fait un reportage sur un pays du monde, c’est généralement parce qu’il est en guerre. »
Face à ce débat, de nouveaux médias apparaissent. Loin des grands médias nationaux, leur objectif est de reprendre en main le récit des banlieues.
Le Bondy blog : « le média qui raconte les quartiers depuis 2005 »
Le Bondy blog, à ses débuts, était une antenne de l’Hebdo, un ancien média Suisse dont l’objectif était de couvrir les émeutes de 2005. Ces trois semaines d’émeutes ont débuté après la mort de deux adolescents, Zyed Benne et Bouna Traoré, morts électrocutés près d’un poste électrique alors qu’ils tentaient d’échapper à un contrôle de police. Ces évènements, qui se sont généralisés dans plusieurs banlieues en France, ont fait l’objet d’un déferlement médiatique avec des images qui ont fait le tour du monde.
Mais l’hebdomadaire suisse voulait aborder cette actualité d’un autre œil. Loin des reportages réalisés aux heures creuses de la journée, sans connaître réellement la situation ni ses habitants. C’est donc pour comprendre le processus et ses origines de l’intérieur que l’antenne a été créée en installant ses bureaux dans le quartier de Bondy en Seine Saint Denis.
Après trois mois d’immersion, l’antenne suisse devient une association à part entière suivant une ligne éditoriale fidèle aux raisons de sa création : donner la parole aux habitants de ces quartiers et raconter l’actualité par le prisme de ces territoires.
Avec une rédaction ouverte à tous, le média veut inciter les jeunes des quartiers à ne plus subir le traitement médiatique mais en devenir les acteurs, les producteurs de leur information, les conteurs de leur réalité.
Bondy blog a également ouvert, en partenariat avec l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ), une classe préparatoire « égalité des chances » destinée aux étudiants boursiers sur critères sociaux. Cette dernière accueille des étudiants possédant déjà une licence et « porte l’ambition de favoriser la diversité sociale dans les écoles de journalisme », comme l’explique le Bondy blog sur son site internet. En 2017, 85% des étudiants qui ont participé à cette classe préparatoire ont été admis dans une école de journalisme reconnue.
L’@gence² : une formation destinée aux jeunes des quartiers pour couvrir l’information de leurs quartiers
En octobre dernier, trois sites de formation en journalisme ont ouvert leurs portes à des jeunes issus des quartiers politique de la ville (QPV). Les QPV, anciennement ZUP, sont les quartiers prioritaires définis par la politique de la ville.
L’enjeu est « que les jeunes des quartiers soient en capacité de produire leur propre récit », explique Guillaume Villemot, un des fondateurs de l’@gence². Cette agence de formation forme ces jeunes à tous les métiers du journalisme ainsi qu’aux codes de l’information pour qu’ils puissent travailler ensuite dans d’autres rédactions. L’@gence² propose alors de bouleverser l’archétype des écoles de journalisme qui ne sont pas toujours représentative de la société française.
Mais l’@gence² a une autre « casquette » que celle de la formation. Elle est aussi une agence d’information qui vend ses sujets à d’autres médias comme France TV, BFM, etc. Ces mêmes sujets sont écrits par les bénéficiaires de la formation.
A terme, ils comptent ouvrir 15 agences réparties sur tout le territoire, permettant alors de former 250 jeunes accompagnés d’une équipe de 60 journalistes. L’@gence² espère alors être capable d’alimenter un véritable fil d’information qui financera non seulement la structure d’information mais aussi celle de formation. « C’est un modèle économique autonome parfait », garantie Guillaume Villemot .
Avec une première rentrée il y a seulement quelques mois, L’@gence² a déjà vendu quelques sujets à d’autres médias comme une reportage sur l’exposition « Trésors de banlieues » à Gennevilliers. Lorsque le fil d’informations démarrera véritablement, d’ici à janvier selon Guillaume Villemot , l’@gence² a la volonté de devenir une nouvelle ressource sur cette thématique pour les médias traditionnels. Ils espèrent ainsi avoir une couverture médiatique sur les banlieues plus juste et plus objective, s’éloignant du caractère exclusivement sensationnaliste.