Contre le PLFSS 2020 : les mutuelles sont-elles unies ?

Depuis novembre 2019, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2020 (PLFSS) est examiné au Sénat et à l’Assemblée. Les fédérations de mutuelles émettent un avis défavorable mais avancent en rangs dispersés. Leurs antagonismes historiques se ravivent face à ce projet.

Pour l’année 2020 le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) fixe à 205,3 milliards d’euros le niveau de dépense nationale de l’assurance maladie. Insuffisant selon les fédérations de mutuelles. D’autant plus que le PLFSS prévoit aussi des nouvelles exonérations de cotisations sociales et de nouveaux transferts de charge prévus vers les complémentaires santé. En France, 95 % de la population est couverte par une assurance santé complémentaire. Elle sert à financer les dépenses non prises en charge par l’assurance maladie obligatoire.

Des mesures qui font réagir les Présidents des mutualités. Pour Thierry Baudet de la fédération de la Mutualité Française : « il s’agit d’un projet de  non-financement  de la sécurité sociale ». Francis Balay, Président d’Alternative Mutualiste, lui va plus loin et accuse le gouvernement de vouloir « à terme privatiser la Sécurité sociale ».

Derrière ce consensus d’apparat, l’opposition au plan du gouvernement d’Édouard Philippe révèle, en réalité, des dissensions idéologiques au sein des mutuelles. Historiquement, il est possible d’identifier un courant mutualiste toujours attaché aux principes édifiés par le Conseil National de la Résistance. De l’autre, celui qui s’est battu contre la création de la Sécurité sociale, communément appelée Sécu.

Retours aux sources

Selon Michel Etievent, historien spécialiste de la Sécurité sociale, « deux modèles de mutuelles coexistent depuis la loi de 1945 sur la sécurité sociale ». La première est la Fédération nationale de la Mutualité Française, dont le Président actuel est Thierry Baudet. Pour l’historien elle « est l’héritière du système de protection sociale mis en place par Napoléon III, dont la gestion des caisses de protection sociale est déléguée aux notables sur l’ensemble du territoire ». La seconde est l’héritière des mutuelles ouvrières, elle se structure en 1960 sous le nom des Mutuelles de France.

Pour schématiser, il y a d’un côté des mutuelles tenues par et pour les patrons et de l’autre des mutuelles tenues par et pour les travailleurs. Mais dans les années 2000, le Président Louis Calisti des Mutuelles de France lance un appel à l’unification du mouvement mutualiste. En 2002 l’accord est définitivement scellé entre les deux fédérations. Ce rapprochement pour Michel Etievent a pour conséquence « d’effacer les différences idéologiques entre les deux courants mutualistes. Dans les faits, cela se traduit par le rapprochement entre Allianz, une mutuelle idéologiquement considérée très à droite, et Mgen, mutuelle d’enseignants, considérée de gauche».

Toutes les mutuelles n’acceptent pas ce rapprochement. Elles se positionnent contre les orientation politiques de la Mutualité Française. Une scission s’opère. Elle donne lieu à la création d’Alternative Mutualiste. Cette dernière se définit comme « une force de mutuelles résistantes ». Son Président, Francis Balay, va jusqu’à considérer « la Mutualité Française comme un ennemi de classe ». Formule marxiste ? Elle permet de faire la lumière sur deux formes d’économie sociale.

Selon Francis Balay dans l’ESS il y a à boire et à manger, « mais elle se doit de reposer sur deux concepts économiques : partage des richesses et juste redistribution ». A sa création, la Sécurité sociale fonctionne sur ce modèle économique. D’après le Président « des mutuelles résistantes », c’est pour cette raison que la mutualité française s’oppose à la création de ce système de protections sociale en 1945.

De la CSG à l’exonération des entreprises

A partir de 1945 et l’instauration du régime universel, la Sécurité sociale est financée par le salaire « socialisé ». Sur le salaire brut est retenue une part pour remplir les caisses de la Sécu. Cette part devient donc un manque à gagner pour l’employeur. Or, quand Michel Rocard prône, dans les années 80, la création de la CSG, considérée comme une taxe voire un impôt pris indistinctement sur les français, la Mutualité Française soutient l’initiative. En 2016, elle tient à honorer la mémoire de « du père de la CSG ». Dans un communiqué, elle précise « La CSG, qui sert exclusivement à financer la protection sociale, rapporte aujourd’hui autour de 90 milliards d’euros par an, soit davantage que l’impôt sur le revenu ». Au contraire pour Francis Balay, ce passage du salaire socialisé à la CSG, marque un glissement d’une économie sociale vers une économie libérale : « La Sécu n’est plus financée selon ses principes fondateurs de partage des richesses et de justes redistributions. »

Le PLFSS 2020 du gouvernement d’Édouard Philippe semble poursuivre cette transition d’un modèle de solidarité nationale vers un modèle d’économie libérale. Quand, par exemple, en réponse à la crise des Gilets Jaunes, le Président de la République propose d’exonérer les heures supplémentaires des cotisations sociales. Un plus dans la poche du salarié, mais un manque à gagner pour la Sécu. Selon le quotidien Le Monde, cette décision inscrit la politique d’Emmanuel Macron, dans la droite ligne de Nicolas Sarkozy encourageant les Français « à travailler plus pour gagner plus ».

Sur ce point précis, spécifié dans le PLFSS 2020, les deux courants de mutuelles s’opposent de fait. Pour Francis Balay, l’exonération des entreprises et des heures supplémentaires « est une attaque à la Sécurité sociale ». Mais Thierry Baudet lui « regrette simplement l’absence de compensation ». Il ressort du discours du Président de la Mutualité Française que ni l’ISF, ni les entreprises n’ont vocation à financer la Sécu. Reste un dernier point sur lequel ces deux courants de mutuelles ne se rejoignent pas idéologiquement : le reste à charge zéro.

D’accord sur le l’idée mais pas sur l’effet

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le reste à charge zéro implique que certains soins optiques, dentaires et auditifs soient entièrement remboursés aux patients. Mais qui paie ? Les mutuelles.

Alors, le 8 novembre dernier, la ministre de la Santé Agnès Buzin, tient à rassurer : « le 100% santé ne peut pas être un motif de hausse des tarifs ». En réaction à cette déclaration, Thierry Baudet reste ambigu. Selon lui « les tarifs étant libres des cas particuliers restent néanmoins toujours possibles, pour retrouver l’équilibre des contrats ». Sous-entendu l’augmentation des couvertures de santé complémentaire aura bien lieu.

Francis Balay, inquiet, joue franc-jeu : « avec l’augmentation du montant des cotisations cette réforme ne profitera pas au plus précaires ». En France, 3 millions de français sont toujours sans mutuelles, c’est-dire 5% de la population. Pour lui, en finalité, le PLFSS 2020 est un mauvais projet, « il rend implicitement obligatoire une souscription à une mutuelle ».

Quand Thierry Baudet déclare : « les mutuelles représentent un mouvement social et démocratique, engagé en faveur de l’accès au soin au plus grand nombre », Francis Balay lui rétorque « A tous ! Nous, nous sommes pour une Sécurité sociale de haut niveau pas pour une mutuelle de haut niveau ».

En définitive, le Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale 2020 a bien ravivé les dissidences dans la famille grande des mutuelles Françaises.

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