Les spectateurs sourds et aveugles peuvent se réjouir. Les théâtres et opéras accueillent de plus en plus de représentations qui leur sont accessibles. Accompagnés par des associations comme Accès Culture, ces lieux de spectacles souhaitent aussi et avant tout ouvrir leurs portes au maximum de personnes et dans les meilleures conditions possibles.
C’est une véritable scénographie. Accueil d’un public handicapé, traductions en Langue des Signes Française (LSF), audiodescription, insertion d’un ou plusieurs comédiens LSF dans la représentation, etc. L’adaptation du spectacle vivant n’a rien à envier à l’organisation d’une représentation « habituelle ». Néanmoins, elle ne connaît pas encore le succès qu’elle mérite. Afin d’y remédier, des associations comme Accès Culture travaillent en coopération avec des établissements partout en France (théâtres, opéras,…). A la suite de l’apparition de l’audiodescription au cinéma, Frédéric Le Du souhaite faire la même chose dans le monde du spectacle. il crée donc Accès Culture en 1993.
En coopération avec 120 théâtres et opéras en France, l’association a pour objectif de mettre en place des services d’accessibilité pour le spectacle vivant. « Nous sommes aussi là pour accompagner les structures dans la mise en place de cette accessibilité », explique Priscillia Desbarres, chargée de communication à Accès Culture. A chaque début d’année, aux alentours de janvier-février, l’association reçoit les programmations de théâtres et autres lieux de spectacle afin de déterminer quelles représentations peuvent être adaptées. « On peut aussi les contacter nous-mêmes pour leur demander s’ils souhaitent recevoir un spectacle en audiodescription par exemple », précise -t-elle.
Locataire du Théâtre National de Chaillot, situé au Trocadéro (XVIème arrondissement de Paris), l’association développe son réseau petit à petit en travaillant pour l’Opéra de Paris et la Comédie française. Mais l’aventure commence véritablement avec l’instauration de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005. Ayant pour objectif de leur garantir « l’accès aux droits fondamentaux reconnus de tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté », cette loi créé à l’époque « un environnement idéal », selon la responsable communication. Plus encore, elle instaure les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dont l’une des missions est d’informer et d’accompagner les personnes en situation de handicap et leurs proches. Ce qui permet à l’association de faire connaître plus facilement ses initiatives au sein des départements concernés.
Puis en 2006, une subvention de la fondation Orange permet d’agrandir le réseau et de mettre en place un opéra à travers seize villes en France. Car si la question du financement n’est pas la priorité majeure, elle reste malgré tout un facteur important. « Les subventions sont de véritables soutiens à nos projets. le collectif reçoit notamment des aides de la part du ministère de la Culture et des mairies de Paris, d’Aix et de Marseille », explique Priscillia Desbarres. Les fondations sont également des acteurs très importants pour l’association. « Par exemple, la fondation Malakoff Humanis Handicap nous a aidé dans l’obtention de gilets vibrants qui permettent de retranscrire la musique des spectacle pour les personnes sourdes ou malentendantes. »
« Un travail de longue haleine »
Le théâtre de Brétigny-sur-Orge (Essonne) travaille depuis 2017 avec Accès Culture. Leur dernière collaboration remonte à début janvier 2020 avec la pièce White Dog traduite en Langue des Signes Français. « Un beau travail », affirme Catherine Carrau, chargée de communication au Théâtre Brétigny. Pour cette pièce, Accès Culture a monté une petite production et l’a mutualisé sur plusieurs théâtres accueillant la représentation. « Ils ont fait un vrai travail d’adaptation de la pièce. Cela donne quelque chose de différent, quelque chose d’incarnée », explique Catherine Carrau.
Accès Culture aide donc les lieux de spectacles vivants à mieux s’organiser et à faire attention au moindres détails. « De plus en plus de structures ont envie de développer ce type d’accueil. Mais le plus souvent, elles ne savent pas comment s’organiser », explique la chargée de communication. Une difficulté confirmée par le Théâtre Brétigny. « Il ne s’agit pas seulement d’avoir un spectacle adapté. Il y a un tout-autour très important auquel on ne pense pas au début. Ce sont des choses simples comme apprendre à dire bonjour en LSF. » L’association est donc importante pour orienter les lieux de spectacles. « Les conseils de l’équipe d’Accès Culture sont très importants dans ces cas-là. Ils nous disent comment aller chercher le public, quelles sont les personnes ou les associations à contacter pour garder un lien avec les spectateurs », affirme Catherine Carrau.
En dehors des spectacles adaptés, Accès Culture collabore également avec des théâtres au travers de différents ateliers. « On travaille en coopération avec ces lieux sur la mise en place de maquettes tactiles des théâtres mêmes. Soit les théâtres investissent eux-mêmes leur maquette, soit on les réalise à leur place », explique Priscillia Desbarres. Des théâtres nationaux comme celui de Chaillot, de l’Opéra Comique ou encore de l’Archipel ont ainsi proposé des maquettes avec l’association. Des réalisations qui ne sont pas uniquement accessibles à un public handicapé. « Ce travail de conviction et de communication concerne tous les publics. On souhaite avant tout inclure un maximum de personnes dans les meilleures conditions », confirme Catherine Carrau.
C’est dans cet objectif premier que le théâtre organise des visites tactiles pour les publics aveugles ou malvoyants en amont des spectacles . « On les fait monter sur scène avec l’équipe artistique. Ils peuvent alors toucher le décor, demander des explications ou se familiariser avec les voix des comédiens ». Et là aussi, l’accompagnement d’Accès Culture est nécessaire car « c’est quelque chose auquel on ne pense pas au départ », concède la responsable communication du théâtre. « Ils nous indiquent comment organiser l’atelier. Par exemple, ils nous disent quand l’organiser, combien de temps avant le spectacle. »
Mais le théâtre de Brétigny ne s’appuie pas uniquement sur le soutien d’Accès Culture. Pour la saison actuelle, la structure accueille l’organisme Trilogue, un service d’interprètes en LSF et autres langues afin de pouvoir échanger avec les spectateurs sourds. Elle collabore aussi avec les Souffleurs d’Images du Centre Recherche Théâtre Handicap (CRTH) qui propose des formations afin d’apprendre à souffler des images aux spectateurs aveugles. « Cela se traduit par une gestuelle spécifique ou des mots clés. Par exemple, il est possible de donner des indications scéniques sur la main du spectateur », explique Catherine Carrau. Cette formation, certes sur la base du volontariat, reste réservée à des habitués des spectacles vivants ou à des comédiens amateurs.
Comédiens et interprètes s’adaptent
Comédien amateur, Vincent Bexiga est également interprète/traducteur LSF. Membre de l’équipe de comédiens d’Accès Culture depuis maintenant sept ans, il est rare que l’un d’eux n’ait pas un autre métier à côté. « Mais ce sont des vrais comédiens », précise Priscillia Desbarres. De son côté, Vincent n’a pas de formation professionnelle en théâtre. En revanche, il a pris des cours de théâtre amateur, notamment avec des sourds sous la direction de Simon Attia, un comédien et metteur en scène reconnu dans le milieu du spectacle adapté. Et c’est par cette double compétence d’interprète LSF et de comédien qu’il est recruté par Accès Culture, dont il « n’est pas salarié », précise-t-il.
Vincent se considère comme un comédien et un adaptateur : « On adapte des spectacles avec les moyens des codes du théâtre sourd et de la langue des signes, avec une écriture particulière ». Pour cela, plusieurs étapes sont nécessaires. Tout d’abord, le comédien ou Accès Culture eux-mêmes assistent au spectacle afin de savoir s’il est adaptable et s’il convient au profil du comédien. « Certains metteurs en scène recherchent un profil particulier. Que ce soit en termes de couleur de peau, de sexe ou de style de jeu », explique Vincent. Une fois que le comédien réussit à se projeter dans la représentation, un travail proche d’une traduction du texte en LSF est ajouté à la mise en scène après discussions avec l’équipe. « Il est parfois possible d’apprendre aux comédiens quelques signes lorsque certains mots sont importants ou que l’action est plus importante que le comédien LSF. On peut aussi être dans la mise en scène elle-même, quitte à croire qu’on y est depuis le départ », indique Vincent.
Les formes d’adaptation sont donc très variées. Mais « ce ne sont pas pour autant de simples traductions littérales », prévient Vincent. « Au contraire, on essaye de regrouper les informations ensemble. Et c’est pour cela qu’on fait appel non pas à de simples interprètes mais à des comédiens ».
De manière générale, le spectacle adapté connaît donc une belle progression. « Les théâtres ou les opéras sont très motivés et développent des actions incroyables », déclare Priscillia Desbarres. « Mais il faudrait toujours en faire plus. Heureusement le public handicapé se rend compte que beaucoup de choses sont faites en sa faveur. » Un avis partagé par Catherine Carrau : « On se dit parfois que ça n’avance pas assez vite. Mais c’est un travail de longue haleine. On ne gagne pas un public du jour au lendemain. »
Ainsi, alors que l’action théâtrale est régie par l’unité de temps (« […] qu’en un jour […] Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli » (Nicolas Boileau, Art Poétique, 1674), le spectacle vivant adapté semble quant à lui contraint de prendre son temps…