Sexe et Handicap : sont-ils incompatibles ?

(Crédit : Anna Sunny / Pixabay)

Les Français parlent de plus en plus facilement de sexualité. La parole se libère ainsi que le constate la sociologue Janine Mossuz-Lavau dans sa dernière enquête La vie sexuelle en France (2018). Mais certains sont encore exclus de ces discussions puisque prisonniers d’un corps qui ne leur appartient plus ou d’un esprit qui rend difficile toute communication ordinaire. Beaucoup sont ainsi dépendants et ne peuvent accéder au plaisir des sens seuls. Comme tout le monde, les personnes porteuses d’un handicap ont une libido. Une réalité qui est encore trop souvent niée en France. Pas par tout le monde cependant. En effet, quelques associations ont vu le jour en France avec pour objectif de défendre cet état de fait. Un nouveau métier a ainsi vu le jour, celui d’accompagnant sexuel et/ou sensuel.

Une infirmière expliquant à un homme que la masturbation dépasse le cadre de ses fonctions, des parents ne sachant gérer les élans amoureux de leurs enfants atteints d’autisme ou encore le directeur d’un institut spécialisé criant au scandale à la découverte d’un jeune couple faisant l’amour en cachette… Autant de témoignages recueillis au fil des rencontres et illustrant un vrai mal-être chez une population à laquelle on n’apporte aucune réponse. Le sexe et le handicap sont deux notions que l’on prend soin de ne pas lier l’une à l’autre. 

Nadine est sexothérapeute. Elle explique qu’actuellement la sexualité appartient encore à quelqu’un de beau, de jeune et en capacité de reproduction. Or, quand on sort de ce schéma, le sexe devient gênant. On ne parlerait sexualité non pas en terme de plaisir, mais en terme de procréation. Le clitoris n’est d’ailleurs représenté dans la plupart des manuels scolaires que depuis cette année selon Libération.

On comprend dès lors que parler sexualité concernant les personnes en situation de handicap relève du secondaire. C’est pourtant un réel besoin et un questionnement prégnant pour le personnel médical. « Les soignants se retrouvent face à de jeunes adultes, à leurs interrogations : comment est ce que je peux faire avec une fille ? Est ce que tu penses qu’un jour je saurai ce que c’est qu’être avec un garçon ? », raconte Cécilia. Cette infirmière libérale a travaillé plus de dix ans dans un établissement spécialisé. Elle murmure, consternée : « ils souffrent et on les voit souffrir ». Au sein des équipes, avec les éducateurs spécialisés, ce sont des problématiques soulevées, mais auxquelles il n’y a pas encore de réponses. En fait, « on a du mal à associer sexualité et handicap (…) on nie la sexualité chez les gens qu’on ne considère pas ou plus en être capables. Ils n’y ont pas droit et ça devient presque sale. Alors on détourne les yeux ».

Malgré tout, ce sujet semble de plus en plus abordé dans le milieu médical. C’est même un sujet qui appel au consensus. « En tant que soignant, on sait quelle souffrance peut représenter le fait de ne pas avoir accès à une forme de sexualité quand on est adulte, parfois isolé et confronté au handicap », affirme Cécilia.

Comment connaître son corps lorsque l’on a un handicap ?

Depuis 2007, un véritable engagement en faveur de l’épanouissement sexuel des personnes handicapées a émergé après l’organisation du colloque « Dépendance physique : intimité et sexualité ». De là, plusieurs associations ont vu le jour, et notamment APPAS. Elle milite pour l’accompagnement sexuel et/ou sensuel des personnes en situation de handicap. Créée en 2013, cette association souhaite permettre aux personnes souffrant d’une certaine forme d’isolement, de misère sexuelle et affective, de partir à la découverte de leurs corps. Un corps parfois douloureux, oublié ou inaccessible. 

Il faut comprendre que de nombreuses personnes porteuses de handicap n’ont pas accès au toucher, ils sont perpétuellement manipulés, que ce soit pour leurs soins ou pour la toilette. Finalement, ils n’ont aucun autre rapport avec leur corps. « A force de prodiguer un traitement, à force de s’occuper d’eux, ces gens finissent pas s’oublier. Ils acceptent parce qu’ils n’ont pas vraiment le choix », explique Cécilia. L’accompagnement sexuel et/ou sensuel serait ainsi la possibilité de reprendre son corps en main, de se l’approprier ou se le réapproprier. « On leur donne le pouvoir de décider quoi faire de leur corps car d’habitude, tout est nié chez eux », d’après cette infirmière. En définitive, il ne s’agit pas que de sexualité, c’est aussi prendre en compte un avis, un besoin de l’autre, d’acquérir une estime de soi. Julia Tabath est la présidente de Ch(s)ose, une autre association qui milite pour une sexualité des personnes handicapées. Elle explique sur Arte que le but, c’est de montrer qu’une personne en situation de handicap a aussi une sensualité qui lui est propre et qu’elle peut découvrir. Pour se faire, un accompagnant sexuel va la guider. 

Julia Tabath explique que concrètement, il s’agit d’une « personne qui va intervenir soit pour aider à la masturbation, soit pour la découverte de son corps, soit pour aider un couple à avoir un rapport sexuel (…) parfois même aller jusqu’à la pénétration ». Une définition que ne peut toutefois pas être « toute faite », selon Jill Prévôt-Nuss, présidente de l’APPAS. « Il y a autant de sexualités que d’humains sur Terre », ajoute t-elle. Elle-même a un parcours atypique, une approche des sexualités qu’elle perçoit comme évolutive. 

Libertine, Jill Prévôt-Nuss est devenue prostituée puis accompagnante sexuelle parce qu’elle en a eu envie : « c’est par choix personnel et non par choix économique (…) et tout s’est très bien passé ». Sa rencontre avec Marcel Nuss, polyhandicapé a été décisive. Ensemble, ils ont créé l’APPAS. Cet homme a laissé sa place de président en septembre dernier à celle qui est depuis devenue son épouse. Cette dernière explique que la plupart des personnes souhaitant devenir accompagnant sont pour beaucoup issus du milieu de la santé ou de la prostitution. Si les profils sont variés, un point commun demeure, celui d’avoir « été sensibilisé, touché par une expérience, une rencontre avec une personne en situation de handicap ». On comprend qu’il faut être à l’écoute de l’autre, de sa demande et de son rythme. 

Si la militante parle d’accompagnant et non d’assistant, c’est pour une bonne raison : « on œuvre avec et non pour une personne, il s’agit d’un échange, d’un partage (…) il ne s’agit pas de gens parfaits qui vont accompagner des gens imparfaits ; un accompagnement, c’est dans les deux sens ». En effet, il est primordial d’être aussi à l’écoute de soi car « il est très important de savoir pourquoi on veut devenir accompagnant, ce que ça peut nous apporter à titre personnel », explique Jill Prévôt-Nuss. Mais pour Nadine, il s’agit d’un vrai questionnement. Elle se demande ce qui peut pousser les gens à devenir accompagnant. « On fait une profession parce qu’on vient y chercher quelque chose pour soi (…) là, que cherche t-on ? (…) Je pense que ça peut être très compliqué, en terme de regard sur soi, en terme d’estime de soi ». Selon elle, malgré une formation, on reste dans une relation qui suppose une grande implication, parfois sexuelle. Trouver son équilibre peut être difficile mais Jill Prévôt-Nuss se veut rassurante : « je suis un exemple que l’on peut vivre cette activité (quand elle est choisie) et être très épanouie ». Toutefois, certaines personnes se rendent compte que sur le terrain, tout n’est pas si simple. C’est pourquoi l’association a déjà formé environ 80 personnes mais seulement une vingtaine exerce à ce jour. 

De nombreux fantasmes gravitent encore autour de l’accompagnement sexuel et/ou sensuel. L’acte sexuel étant au cœur des interrogations. « On est bien loin de ce qu’imagine le grand public, très loin des rapports sexuels avec pénétration (…) il y en a souvent très peu finalement », explique Jill Prévôt-Nuss. Elle revient d’ailleurs sur un de ses souvenirs et raconte que beaucoup n’ont jamais eu d’éducation sexuelle : « j’arrivais avec mon plus grand sourire, ma plus grande légèreté pour faire tomber la pression. Au final, on pouvait seulement rester allongés, nus plusieurs heures l’un contre l’autre. Juste ça déjà, c’est beaucoup pour certains ». De plus, l’APPAS accompagne aussi de nombreuses personnes atteintes d’autisme. Dans ces cas là, Jill Prévôt-Nuss explique qu’il s’agit d’une toute autre forme de sexualité, plutôt « une forme d’éducation, il n’y a pas ou peu de nudité, c’est s’amuser avec une plume sur le bout du nez, se chatouiller, c’est sensuel mais au sens d’essence car tous les sens sont en éveil ». A ce jour, c’est près de 2000 personnes en situation de handicap, célibataires ou en couple qui ont demandé à être aidé depuis la création d’APPAS. 

Afin de promouvoir au mieux l’accompagnement sexuel et/ou sensuel, l’association propose donc de mettre gratuitement en relation les personnes qui le souhaitent avec un ou une accompagnant(e) sexuel(le). Pour se faire, elle a mis en place dès mars 2015, une formation à destination de toute personne désireuse de devenir accompagnant. Ils sont les seuls en France. Cette idée est née dans l’esprit de Marcel Nuss, cofondateur du collectif « handicaps et sexualités » (CH(s)ose). Déterminé de passer à l’action, il quitte CH(s)ose et décide de fonder l’APPAS pour agir plus concrètement. Mais dès le lancement de ces formations, l’une d’elles manque d’être annulée. Un hôtel devant les accueillir porte plainte contre l’association, craignant d’être affilié au proxénétisme hôtelier. Le tribunal de Strasbourg a toutefois décrété les cours comme conformes à la loi. Un tournant majeur puisque désormais, apprendre ce métier devient officiellement légal. Cette jurisprudence a ouvert la voie à Ch(s)ose qui décide de créer ses propres formations, en s’alliant à Corps Solidaires, une association suisse. Ces derniers regroupent des assistants sexuels formés par le Sehp en Suisse. Ces deux apprentissages sont assez différentes bien que complémentaires puisque Ch(s)ose a une approche très théorique alors que celle de l’APPAS est plus pratique : « il ne faut pas oublier que le sexe, c’est fun ! », s’amuse Jill Prévôt-Nuss. Quoiqu’il en soit, il s’agit là d’un véritable engagement, envers soi-même et envers l’autre.

« Je pensais que c’était légal depuis longtemps »

Didier est un athlète qui multiplie les titres en natation : champion de France, champion d’Europe, présélectionné pour les J.-O. Didier souffre aussi d’une atrophie des bras et des jambes. Ce nageur handisport tombe des nues quand il apprend que l’accompagnement sexuel et/ou sensuel est encore illégal en France,  « si je comprends bien, pour certaines personnes c’est tabou, c’est comme la prostitution ».

En France, cette pratique reste assimilée à de la prostitution. Dans les mœurs mais aussi devant les tribunaux. En effet, les associations qui mettent en relation les personnes en situation de handicap et les accompagnant(e)s tombent sous le coup de la loi. A l’instar des proxénètes, ces associations risquent jusqu’à sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende pour avoir fait office d’intermédiaire. Malgré le fait qu’il s’agisse d’un service totalement gratuit. De la même manière, les personnes faisant appel à leur service sont considérées comme des clients de la prostitution. Depuis 2016, ils encourent une amende de 1500€. Ainsi, en l’état du droit, la France ne fait pas cas de la situation particulière des personnes en situation de handicap, contrairement à ses voisins. Dans de nombreux autres pays, l’accompagnement sexuel et/ou sensuel est en effet autorisé. C’est notamment le cas en Suisse tout comme aux Pays Bas (où la prostitution est aussi légale), en Allemagne ou encore au Danemark. 

Au fond, existe t-il une différence entre la prostitution et l’accompagnement ? « Dans la prostitution classique, on est objet ou sujet de désir, on est généralement passif (…) on essaye de fidéliser le client ». Tout le contraire de ce que défend l’APPAS. Sa présidente explique qu’il s’agit plutôt d’un « tremplin (…) la personne apprend à connaître et reconnaître son corps, elle prend confiance pour ensuite se débrouiller seule ». Difficile toutefois pour le corps médical de cerner l’accompagnement sexuel et/ou sensuel et son éventuel rapport au domaine de la santé  « on médicalise beaucoup la sexualité en France (…) mais sans jamais aborder la prostitution ou l’accompagnement dans nos études », décrypte Nadine. Un manquement pour Cécilia, qui aimerait qu’on en parle comme d’un soin. En effet, la négation de son corps et l’abstinence forcée peuvent être la source d’une véritable souffrance, et  « dès lors qu’on parle de souffrance, cela peut être assimilée à un soin ». Le rapport au corps étant altéré dans le cas des personnes handicapées, Jill Prévôt-Nuss explique que si elle pouvait, elle aimerait « bien parler de soin sexuel car l’idée c’est d’aller mieux ». Pratiquer un soin suppose néanmoins une certaine distance émotionnelle selon Nadine car « la personne reste un objet de soin, c’est un sujet bien sûr, mais aussi un objet de soin ». Difficile ainsi d’intégrer l’accompagnant sexuel dans ce schéma.

Au delà de leurs activités, ces associations militent aussi pour la dépénalisation de l’accompagnement sexuel et/ou sensuel. Elles ont déjà interpellé les pouvoirs publics afin d’inscrire ce débat à l’agenda politique et d’enfin donner un statut à cette cause. En France, les militants travaillent encore à sensibiliser les politiques et à changer le regard de la société sur la sexualité. L’APPAS a d’ailleurs, en décembre dernier, tentée d’interpeler les députés avec la campagne #EnDessousDeLaCeinture. Ainsi, à l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, elle a soutenu une proposition de loi dont le but est de légaliser et de réglementer l’accompagnement sexuel et/ou sensuel pour les personnes en situation de handicap. Sans résultat pour le moment. Pourtant, Jill Prévôt-Nuss explique que les pouvoirs publics sont au courant des activités de l’APPAS. Marcel Nuss s’est en effet déjà rendu à l’Elysée et a fait connaître ses projets. 

Finalement, on est face à un véritable paradoxe. Il existe ainsi des personnes handicapées qui peuvent être puni pour avoir fait appel à un service d’accompagnement autorisé et la justice autorise les formations mais interdit les mises en relations. Les associations se retrouvent ainsi tiraillées entre militantisme et illégalité. « Quoi qu’il en soit, c’est quelque chose qui devrait être normalisé », clame Jill Prévôt-Nuss. En effet, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnaît le sexe comme faisant partie intégrante de la santé. Un droit qui, pour le moment, n’est pas pleinement accessible pour les personnes handicapées en France. Et plus largement, pour les personnes en situation de dépendance, comme peuvent l’être certaines personnes âgées.

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