André-Joseph Bouglione, la naissance du cirque écolo

Si André-Joseph Bouglione revendique la fin du spectacle animalier, il ne signe pas l’arrêt de mort du cirque pour autant. Seulement du cirque traditionnel. Selon lui, il faut savoir évoluer, et cela passe par la mise en place d’un nouveau projet : un cirque éco-responsable et 100% humain. Pour l’Essentiel, il dévoile les dessous de ce spectacle à venir.

Vous venez d’une famille de circassiens qui a toujours travaillé avec des animaux. Pourquoi avoir choisi de les bannir de vos spectacles ?


André-Joseph Bouglione : On a pris cette décision tout simplement parce que nous commencions à nous percevoir comme des gardiens de prison. On se sentait en décalage avec les aspirations du public. Or notre spectacle est par essence un spectacle populaire. On se devait d’écouter notre public : c’est un peu notre seul et unique patron.

Notre démarche est donc écologique et citoyenne. L’Écocirque débutera l’année prochaine, en avril 2020. C’est un cirque où tous les aspects du métier qui nous semblaient problématiques ont été corrigés.

Dans votre quotidien de dresseur, avez-vous déjà eu l’impression de maltraiter vos animaux ?

C’est justement tout le paradoxe. On n’a jamais cette impression. Je ne pense pas les avoir maltraiter mais il faut bien retenir une chose : la captivité, en soi, est un mauvais traitement. Et ce quelles qu’en soient les conditions. Malgré l’amour et les soins donnés à nos animaux, on ne peut rien faire face au mal être lié à la captivité.

On s’est dit qu’il fallait donc arrêter car ça commençait à véhiculer un mauvais message, notamment face au public enfantin. C’est comme si on disait à ces enfants que l’Homme est supérieur à l’animal, qu’il n’est là que pour nous servir.

Ressentez-vous un malaise général du côté de votre public ?

Evidemment, et les sondages le confirment. Environ 67 % du public se déclare sensible à la cause animal et favorable à l’interdiction des animaux dans les cirques. C’est évident qu’aujourd’hui la présence de ces animaux cause un malaise. Ce n’est pas une mode. On ne devient pas sensible à la cause animale pour faire comme Leonardo DiCaprio ou je ne sais quelle autre star.

Beaucoup vous reprochent un certain opportunisme. Qu’avez-vous à répondre ?

C’est une réflexion un peu schizophrène. On ne peut pas reprocher à des gens de faire quelque chose, puis leur reprocher de changer. Prenons l’exemple d’un boucher, on le critique parce qu’il fait de la viande. S’il venait à changer et devenait primeur, on dirait de lui qu’il est un « salaud de profiteur » ? Ça n’a aucun sens. Dans ce cas, la seule solution serait le suicide collectif.

Comment le milieu du cirque traditionnel a-t-il réagi lorsque vous avez annoncé vouloir arrêter les spectacles animaliers ?

Ça a été une catastrophe ! Je m’attendais à des réactions, mais là tout est allé trop loin. C’est ridicule, c’est n’importe quoi. A l’heure où je vous parle, cela fait maintenant deux ans que j’explique au public la démarche de notre Écocirque « sans animaux mais pour les animaux ». Pourtant du côté du cirque traditionnel, la réaction reste très communautaire.

Je ne suis contre personne, c’est une erreur de penser cela. Je n’essaye pas de faire du tort aux autres circassiens, au contraire. Je tente de leur ouvrir les yeux, et de leur donner de nouveaux moyens de réflexion, pour prendre conscience du problème actuel.

En parlant de problèmes, j’ai même pu observer un phénomène assez étonnant. Les grands cirques se cassent la figure les uns après les autres alors que les petits cirques prospèrent. C’est assez simple à expliquer : les grands jouent le jeux des règles (impôts, salaires, déclarations légales, etc.), ce que les petits cirques ne prennent pas la peine de faire.

Pensez-vous qu’il y a un manque de législations et de contrôles de la part du gouvernement pour mettre fin à ses dérives ?

Le problème ne vient pas que de là. Faire plus de contrôles ne serait pas suffisant. Les gens qui contrôlent ne peuvent rien faire d’autre que de constater d’éventuels soucis. C’est un pansement sur une jambe de bois.

En réalité, ces personnes n’ont aucun pouvoir de sanction. En agissant ainsi on ferme les yeux sur les situations les plus graves. Le seul moyen d’y remédier serait d’établir une nouvelle loi dans laquelle le sort des animaux passerait en premier. Il faudra tout de même quelques années de transition pour que le milieu circassien s’adapte tout en aidant les cirques qui évoluent plus vite. Sinon, il y aura toujours des irréductibles qui attendront le dernier moment pour changer leurs habitudes.

Les animaux encore présents dans certains cirques sont-ils toujours possédés de manière légale ?

Même dans le milieu associatif, il y a énormément de chimères. Beaucoup pensent qu’il y aurait un trafic international. Heureusement non, ce n’est pas le cas ! La plupart des animaux se reproduisent en captivité et il y a ensuite des échanges entre les cirques. À part pour les éléphants, depuis les années 90, on ne peut plus en importer d’autres continents. Comme ce sont des animaux qui ne se reproduisent pas en captivité, il n’y a désormais ni trafic ni reproduction.

Pour vous, créer un spectacle responsable et sans animaux, était-il le seul moyen de faire perdurer les métiers du cirque ?

C’était surtout pour moi la seule manière de continuer à exercer. Je ne me sentais plus capable de continuer dans cette voie. La transition a toutefois été compliquée, le cirque animalier faisait parti de mon ADN…. Mais ce changement, je pense que c’est aussi ce que le public voulait voir.

En quoi peut-on considérer votre Écocirque comme un spectacle « responsable » ?

Pour ce nouveau projet, on a réfléchi à tous les points d’impacts qui caractérisaient notre ancien modus operandi (camions, animaux, etc.) Pour une entreprise telle que la notre, il aurait fallu entre 40 et 50 camions, ce qui représente un certain coût d’investissement et d’entretien. On va donc aller progressivement vers un modèle plus écologique et qui en plus est davantage raisonnable économiquement !

Pour le trajet, on privilégiera par exemple le train, les voies fluviales. L’objectif, c’est de réduire notre impact tout en continuant la même activité ! Côté costumes également, on décide d’aller jusqu’au bout de notre idée. Tous seront en matière vegan. On s’est dit qu’il ne fallait plus du tout être lié à l’exploitation d’animaux.

L’électricité sera-t-elle également une énergie responsable ?

Jusqu’à maintenant on fonctionnait au fioul. On était certes autonomes mais pas du tout écolo ! Désormais, avec l’Écocirque, les villes nous fourniront de l’électricité verte et de notre côté on se chargera de produire un certain nombre de kW. On va par exemple investir dans une centrale électrique solaire. De quoi produire 30kW d’électricité complètement renouvelable. Pour entrer dans une démarche responsable, on installera également un village composé de commerçants en pleine transition écologique. Et pour faire connaître ces commerçants, on distribuera un journal gratuit, imprimé à l’encre végétale sur du papier ensemencé. Une fois lu, on le jette dans la nature ou on le plante dans un pot sur le balcon et il se transforme en fleurs ! Ce journal obéira à une demande de communication tout en permettant de remplacer les prospectus et l’affichage sauvage. Tout ça devrait attirer, je l’espère, beaucoup de visiteurs dans ce village dont l’entrée sera gratuite !

Vous semblez déterminé par une motivation écologique mais également sociale ?

On a effectivement un autre projet, qui concerne le métier du cirque en lui-même. L’idée serait de créer un organisme en charge des relations entre les villes et les cirques, de manière à remanier totalement le système actuel. Lorsque l’on veut demander l’installation dans un cirque, le formulaire est d’une simplicité… Ça donne une image négative de ce milieu, surtout pour une entreprise qui a la prétention d’être culturelle.

Aussi, dans le milieu circassien, la majorité des enfants ne savent ni lire ni écrire. On est en 2019, ce n’est plus tolérable ! On ne peut pas continuer de détourner le regard. D’autant plus que ce problème de scolarité et d’analphabétisme complique également les moyens pour travailler. C’est gens là ne sont même pas au courant de leurs droits !

Remanier le système actuel serait-il aussi une manière de redorer l’image du cirque ?

Il est vrai qu’il y a bien souvent de mauvaises relations entre les cirques et les villes. De nos jours, beaucoup de petits cirques s’installent de force, sans autorisation. Cela amène les villes à condamner ces manière de faire, en interdisant de plus en plus leur venue. Et ce n’est pas uniquement par rapport à la cause animale ! Depuis plus de trente ans, le cirque pose problème partout où il va. Beaucoup de places de centre ville se voient transformer en parking, en centre commerciaux, en jardins publics…. en n’importe quoi pourvu que l’espace soit occupé afin d’empêcher les cirques de s’y installer. On est quasiment à un point de non-retour. On nous perçoit comme une invasion de barbares de voleurs d’eau et de courant.

Le projet social que je porte permettrait de mieux gérer cette relation cirques-villes. Pour cela, les cirques présenteraient leurs dates idéales et leur programme à l’organisme qui se chargerait ensuite de présenter le projet aux différentes villes.

Vous sentez-vous soutenu pour cet autre projet, davantage social ?

Non là encore, le milieu du cirque ne me soutient pas pour autant. Ils continuent de s’acharner sur leur os, mais le problème c’est qu’il n’y a plus d’os. Pour des raisons éthiques et économiques, le changement devient pourtant inévitable.

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